Dans les villes grises
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IUT (1993)
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Mall miraculeux
Je traverse un quartier de HLM et pénètre dans l’un d’eux pour le traverser. Les couloirs sont étroits, un peu bizarres architecturalement, sans que ça n’ait rien de sordide ou de dérangeant. Mais à un moment donné je rebrousse chemin pour me retrouver dans un immense hall, comme dans un centre commercial, similaire au Centre Saint-Sébastien, mais plus vaste encore, avec des commerces et des restaurants – notamment un, avec une terrasse, dont le décor, le mobilier, très boisés et chaleureux, me plaisent, et dont je m'approche pour prendre des photos. Un peu plus loin, près de l’entrée (ou de la sortie, c’est selon) je vois des guichets avec des gens qui se pressent pour payer leurs achats ou pour se faire servir. J’envisage de sortir et vois dans la rue, au loin, une église que j’aimerais visiter ; je l'identifie comme faisant partie de l'une de ces immenses zones de Nancy que je n'ai jamais pris la peine d'explorer mais que je compte désormais découvrir. Je reste néanmoins dans l’immeuble et y déambule, le visite, de plus en plus émerveillé par tout ce qu’il propose en terme de commerces et de services – incluant des logements. Tout le mobilier et la décoration relèvent de l’esthétique des années 70. On dirait que rien n’a changé ici depuis des décennies, et ce côté vieillot me bouleverse, me fait me sentir miraculeusement chez moi. Je rêve d’y emménager et de ne plus en sortir.
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Invitation
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Emprunte
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Industrie
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Effluves (2007)
Les rues oubliées de Nancy, la nuit, avec leurs immeubles obscurs, l'hôpital central et ses grilles menaçantes, les jardins ouvriers, les ruelles, forment une ville secrète que ne cachent qu'aux touristes la Place Stanislas et les quelques hauts lieux du centre. Revenir à Nancy par ces rues désertes, de nuit, m'a toujours mis mal à l'aise, comme quelque chose qui sent vaguement la mort. Qui sent presque au sens propre – car j'ai toujours assimilé Nancy à l'odeur de la terre, d'une cave ou d'égouts, une odeur légère, presque imperceptible, et d'une profonde tristesse.
Un lundi blafard au parc. Les allées sont désertes, à l'exception d'un paon, qui incompréhensiblement se promène en liberté. Quelques maigres effluves, mélange de végétation, de bière, de tabac, de déjections animales et de parfum, me frappent et évoquent en moi des images indescriptibles, à la limite de la conscience, incroyablement puissantes ; et j'ai alors l'impression d'être un prisonnier évadé, certain d'être rapidement repris, et cette pensée m'effraye.
Il arrive que je marche dans les rues d'une ville quelconque, et soudain me monte au nez un effluve de tabac, l'odeur fantôme de la bière, les émanations d'une cuisine ; et me reviennent immédiatement la cité universitaire, la nuit vite tombée en automne, et les filles presque inconnues dont je partageais les repas dans la cuisine commune. Cette vie où chacun se sentait, et était, de fait, un étranger, où chacun n'était que de passage et où par conséquent il était possible d'aborder n'importe qui et de lui proposer de partager un repas ou une soirée paisible, sans que cela n'étonne personne. En une fraction de seconde, avant le moindre mot n'ait le temps de naître dans ma conscience, tout cela m'envahit à m'en briser le cœur, et je dois, sans rien montrer à celui ou celle qui m'accompagne et qui ne le comprendrait pas, tout oublier encore une fois.
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Carnaval
(Photos publiées sur le groupe Facebook « Nancy Retro »)
Quel bonheur, ces façades noircies par la fumée et les bagnoles, ces crépis sales, ce ciel pâle et vide...
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J'ai toujours aimé le carnaval ; pas pour la licence sexuelle ou alcoolique qu'il permet, mais pour les masques eux-mêmes, les déguisements, et je n'ai jamais vraiment compris pourquoi. Peut-être est-ce parce que je ne sais pas déchiffrer les émotions des autres sur leur visage, parce que je ne sais jamais qui exactement ils sont ; et parce que moi-même j'avance masqué, et ai plusieurs vies.
Et que le carnaval explicite tout ça, qu'il rend impossible le mensonge de l'identité et de la connaissance.
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Un rêve d'il y a un peu moins d'une dizaine d'années :
Je suis dans une cage d'escalier d'immeuble, obscure sans être spécialement glauque (quelque chose comme l'immeuble où vivait Lætitia à Nancy, en plus vaste). Il y a plusieurs personnes présentes qui descendent les escaliers. Une femme me demande de l'aider car elle a du mal à marcher, à moins qu'elle n'y voie plus rien. Sortis de l'immeuble, nous marchons un peu dans les rues. Je lève les yeux et ai un léger moment d'étonnement en voyant passer dans le ciel un immense bonhomme monté sur des échasses ou des jambes artificielles ; un personnage de carnaval nordique, masqué ou doté d'un visage exagéré, caricatural, en bois et en tissu.
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Le premier rêve que j'ai noté au réveil, dans ma vie – j'étais adolescent – était un rêve carnavalesque :
Une ville médiévale, toute en ruelles, en passages tortueux. Un magasin de cartes postales. Un saltimbanque, mort, dans une ruelle ; il a été égorgé.
J'écoutais beaucoup Dead Can Dance à cette époque, et les avais découverts à l'occasion de la sortie de Into the Labyrinth, qui comporte notamment ce morceau :
In the park we would play when the circus came to town.
Look! Over here.
Outside
The circus gathering
Moved silently along the rainswept boulevard.
The procession moves on the shouting is over
The fabulous freaks are leaving town.
They are driven by a strange desire
Unseen by the human eye.
The carnival is over*
Autant j'ai toujours détesté me déguiser, même enfant, autant le Carnaval a toujours exercé une fascination sur moi ; non pas le Carnaval prosaïque, vulgaire, populaire dans le mauvais sens du terme, qui avait et a toujours cours dans ma ville natale, avec ses beuveries et ses saucisses grillées sur fond de mauvaise variété et les mêmes plaisanteries lourdes sur Sarkozy, Hollande, Macron et le prochain, mais le Carnaval mythique, celui de la littérature, des films, des tableaux et même du jeu vidéo.
Mon adolescence a été marquée par le jeu de rôle et rapidement les jeux et les scénarios disponibles dans le commerce ou dans Casus Belli ne m'ont plus suffi ; il me fallait inventer mes propres mondes, mes propres histoires, mes propres règles.
Et dans mes mondes intérieurs, le Carnaval, les masques, les parades et les défilés, l'aspect cérémoniel et farceur à la fois de tout cela, a toujours tenu une place importante.
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France réelle
La laideur, la vétusté, la grisaille, la rouille, les jardinets à l'agonie, les voitures et la fumée, les bistrots miteux, autant de choses qui constituent le réel, la France qui n'existe quasiment plus que dans les archives de l'INA et qui me hante, entièrement remplacée par un décor touristique qui la parodie et en fait un parc d'attractions, même pour ses habitants. Si la laideur et la tristesse sont le prix à payer pour le réel alors il faut les aimer.
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Nancy
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Match
J'entre dans un supermarché (quelque chose de petite taille il me semble, comme le Match autrefois) et vois Catherine, de dos, qui fait ses courses avec un caddie. Elle est toujours aussi belle, avec ses longs cheveux noirs, ébouriffés, sa silhouette attirante. Elle porte une robe sombre, assez moulante, courte. J'ai une bouffée de désir pour elle mais je sais que rien n'arrivera plus jamais entre nous et reste à distance. Le supermarché est vieillot, avec du carrelage blanc, un éclairage au néon, un peu faiblard, tout ça évoque les années 70-80.
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Ville intérieure
Je flirte dans une cage d'escalier avec N... et nous descendons dans un bar / boîte de nuit au sous-sol de l'immeuble dans lequel nous nous trouvons. Il fait agréablement sombre, avec des éclairages artificiels, une ambiance élégante, urbaine. N... est réceptive à mes caresses mais me demande d'arrêter car rien n'échappe aux gens dans ce bar. Je réalise ensuite que cet immeuble contient d'autres lieux publics, des commerces, etc, il est une vraie ville intérieure.
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Gare (1993)
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Antichambres de béton
Je vis seul dans un petit appartement dans une sorte de galerie, ou de passage couvert. Il y a de la musique qui joue dehors, très fort, et je sens l'angoisse monter en moi. Je vois la galerie par des fenêtres suffisamment grandes pour être qualifiables de baies vitrées. Il y a un autre appartement au bout du couloir, pas directement en face du mien ; je sais qu'un jeune homme y vit mais jusqu'ici il ne m'a jamais dérangé. En face de moi il y a une sorte de commerce, type location de voitures, contrôle technique, ou quelque chose de technique dans ce genre. Je réalise que la musique vient de là. Ça me calme un peu ; c'est une nuisance type musique de supermarché, à certains horaires uniquement, plus tolérable qu'un voisin qui fait la fête jour et nuit comme j'ai pu en avoir. Néanmoins je décide d'aller me réfugier dans une autre partie de mon appartement pour avoir du silence ; une sorte de cave ou de garage puisqu'elle se trouve au même niveau que les autres pièces, et donne ultimement sur une autre rue. C'est une suite de couloirs et de réduits assez sales, obscurs, mais j'y (re)découvre une pièce vaste comme une chambre à coucher, où je n'entends rien et suis certain de ne jamais rien entendre. Je suis fou de joie. Je vois une table basse avec une petite lampe à abat-jour. Je réalise que je suis déjà venu ici mais que je l'avais oublié. Je vais pouvoir, ici, me faire une deuxième chambre et un y installer un bureau pour lire et écrire dans la paix, le silence, séparé du reste du monde par plusieurs antichambres de béton.
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GPE '94
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Masques
J'ai toujours aimé le carnaval ; pas pour la licence sexuelle ou alcoolique qu'il permet, mais pour les masques eux-mêmes, les déguisements, et je n'ai jamais vraiment compris pourquoi. Peut-être est-ce parce que je ne sais pas déchiffrer les émotions des autres sur leur visage, parce que je ne sais jamais qui exactement ils sont ; et parce que moi-même j'avance masqué, et ai plusieurs vies. Et que le carnaval explicite tout ça, qu'il rend impossible le mensonge de l'identité et de la connaissance.