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  • Meyerbach (2005)

    FRANÇAIS

    Vers l'âge de trente ans, assez peu de temps avant de perdre ma mère, j'avais entrepris avec ma sœur et elle une visite des lieux d'où est originaire notre famille, de son côté. Une ferme, un village sans intérêt au bord de la route...

    Mais il y eut aussi une journée dans cette ville près de Paris où elle nous a amené jusqu'à une grande maison blanche, assez décrépite, qui me faisait penser aux quelques maisons appartenant à l'armée, et plus ou moins abandonnées, de l'avenue Joffre, dans ma propre ville – héritage de l'occupation allemande après 1871. Elle nous expliqua que la maison s’appelait « Meyerbach ».

    C'était devenu un genre d'orphelinat ou de foyer pour adolescents et jeunes adultes en difficulté. Nous avions un ancêtre qui y avait vécu, quand c'était une maison de maître. Était-il le maître en question ou un employé, je ne le saurai jamais. Le moment était assez émouvant ; j'avais très envie d'entrer dans ce bâtiment pour l'explorer, le découvrir – alors que je ne m'étais jamais interrogé sur l'existence même d'une telle maison, et que je serais passé à côté sans y accorder la moindre attention si ma mère ne nous l'avait pas signalée, j'éprouvais maintenant le besoin de l'intégrer à ma vie, de la faire mienne ou de m'intégrer à elle, à son histoire, même à sa vie actuelle, m'apprêtant après tout moi aussi à devenir orphelin, sous peu, et errant dans la vie au même titre que les jeunes personnes qui y vivaient.

    ENGLISH

    Around the age of thirty, not long before losing my mother, my sister, she, and I undertook a visit to the places where our family comes from, on her side. A farm, a village of little interest by the roadside...

    But there was also a day in that town near Paris where she took us to a large white house, quite run-down, which reminded me of the few houses belonging to the army, more or less abandoned, on Avenue Joffre, in my own town – a legacy of the German occupation after 1871. She explained to us that the house was called “Meyerbach”.

    It had become a kind of orphanage or a home for troubled teenagers and young adults. We had an ancestor who had lived there, when it was a manor house. Whether he was the master in question or an employee, I will never know. The moment was quite moving; I really wanted to enter that building to explore it, to discover it – whereas I had never even wondered about the very existence of such a house, and would have passed it by without paying it the slightest attention if my mother hadn’t pointed it out to us, I now felt the need to integrate it into my life, to make it mine or to integrate myself into it, into its history, even into its current life, preparing, after all, to become an orphan myself soon, and wandering through life just like the young people who lived there.

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  • Rentrée 1999

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    FRANÇAIS

    Je scanne pour la première fois les négatifs de ma jeunesse, ces jours-ci, et non seulement je découvre des photos que je n'avais jamais fait développer mais je redécouvre, et c'est presque tout aussi frappant, des photos que jusqu'ici je ne voyais plus que via des scans d'assez mauvaise qualité faits au début des années 2000 et dont je m'étais contenté jusque là.

    Le passage du temps équivaut normalement à la perte d'information, que ce soit en perte de qualité, ou par la perte, au sens propre, du document lui-même. Ici, curieusement, j'ai à quarante-cinq ans le privilège de voir pour la première fois des traces en haute définition de mon propre passé – de la même manière qu'après toute une vie de visionnages à la télé, sur VHS ou sur des DVD mal encodés, je découvre aujourd'hui certains vieux films qui ont compté pour moi avec une image absolument parfaite, comme s'ils venaient de sortir au cinéma.

    Et que dire des archives filmiques du début du XXè siècle auxquels l'IA donne une nouvelle propreté, une fluidité de mouvement qui ressuscite tout ce qu'elles montrent ? 

    Cette rentrée 99 avait commencé très studieusement par un après-midi à fumer des joints dans cet immeuble délabré de la rue du Placieux, où il ne fallait pas s'appuyer à la rambarde, dans l'escalier, car elle était sur le point de se détacher ; j'en avais le vertige et j'en ai rêvé un certain nombre de fois, sous diverses formes.

    1) Avec David et sa copine, et plein de goths devant un immeuble banal. On attend le début d'une soirée. Les portes finissent par s'ouvrir et tout le gens s'en vont, d'un coup. Je les sens partir plus que je ne les vois : j'ai les yeux rivés sur la cage d'escalier de l'immeuble, qui tangue comme s'il y avait un tremblement de terre.

    2)  Je dois aller dans un appartement HLM avec un orchestre classique pour animer une soirée chez un particulier. J'ai du mal à trouver l'appartement, les numéros ne correspondent pas, les HLM sont d'horribles cages d'escaliers sales au-delà des mots, vieilles, taguées, pas éclairées... Nous finissons par nous retrouver dans un appartement mais je réalise que ce n'est pas le bon. Il n'y a personne dedans. Pendant que l'orchestre joue, je ressors à la recherche du bon numéro. C'est encore pire qu'avant, il y a des parties en ruines où l'on ne peut plus monter, des bouts de rambarde manquants, et toujours personne.

    3) Je descends un escalier, probablement à la fac ou dans un endroit du genre. La cage d'escalier en elle-même est immense, et les escaliers, qui longent les quatre murs, sont étroits. Les murs sont nus. Aucun décor ni portes, on est comme dans un silo rectangulaire. À un moment donné, en plein milieu d'un « étage », les marches s'arrêtent, donnant sur le vide. Cette seule vision me donne le vertige et m'emplit d'une angoisse autant morale que physique. Avec difficulté, au ralenti, je rebrousse chemin, pour constater que derrière moi, l'escalier a changé ; il est encore plus étroit et semble effondré, voire fondu, formant par moment une simple plateforme de métal et de pierre mêlées, sur lequel je dois ramper pour remonter.

    J'avais sympathisé avec Laetitia je ne sais plus comment, par un autre après-midi à errer en suivant plus ou moins passivement d'autres étudiants affairés à quelque chose (des courses ? un travail pour la fac ?) dans le quartier où elle vivait, aux abords du Monoprix de Villers-lès-Nancy, ce cube de béton, soviétoïde, posé là comme un vaisseau extraterrestre ou une Kaaba dédiée au dieu de la consommation. Tout le quartier était gris, bétonné, adorable.

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    Elle vivait dans un chaos indescriptible, le contenu de ses armoires et de ses tiroirs presque constamment vidé au sol ou sur le lit, comme si après un cambriolage elle avait décidé d'en rester là.

    ENGLISH

    These days, I’m scanning the negatives from my youth for the first time. Not only am I discovering photos I never had developed, but I’m also rediscovering – almost just as strikingly – photos I had only seen through low-quality scans made in the early 2000s, which I had been content with until now.

    Normally, the passage of time means the loss of information – whether in terms of image quality or through the actual loss of the document itself. But here, curiously, at forty-five years old, I have the privilege of seeing high-definition traces of my own past for the first time – just like when, after a lifetime of watching movies on TV, on VHS, or poorly encoded DVDs, I now discover some of the old films that mattered to me with a flawless image, as if they had just premiered in cinemas.

    And what can be said about early 20th-century film archives, now given new clarity and fluid motion by AI – resurrecting everything they depict?

    That fall of ’99 began very studiously with an afternoon spent smoking joints in that dilapidated building on rue du Placieux, where you couldn’t lean on the stair railing – it was about to come loose. I felt dizzy just looking at it, and I’ve dreamed of that staircase many times since, in various forms:

    1) With David and his girlfriend, and a bunch of goths standing in front of an ordinary apartment building. We're waiting for a party to start. Eventually, the doors open and everyone suddenly leaves. I feel their departure more than I see it: my eyes are fixed on the building’s staircase, which sways as if in an earthquake.

    2) I’m supposed to go to a housing project apartment with a classical orchestra to play at someone’s private party. I struggle to find the right apartment – none of the numbers match. The buildings are horrid: stairwells beyond filthy, ancient, graffitied, dark... We end up in one apartment, but I realize it’s the wrong one. No one’s inside. While the orchestra plays, I head back out in search of the right place. It’s even worse than before – some areas are in ruins, inaccessible, sections of railing missing, and still no one around.

    3) I’m descending a staircase – probably at the university or somewhere similar. The stairwell itself is enormous, with narrow stairs running along the four walls. The walls are bare. No decoration, no doors – we’re inside something like a rectangular silo. At some point, halfway through a « floor » the stairs just stop, giving way to empty space. The sight alone fills me with vertigo and a dread that’s both moral and physical. Slowly, with difficulty, I try to go back, only to find the stairs behind me have changed: they’re even narrower and seem to have collapsed – or melted – forming, at times, just a platform of mixed stone and metal I have to crawl across to get back up.

    I became friends with Laetitia – I no longer remember how – during another afternoon spent wandering, more or less passively following some other students who were busy with something (shopping? a university project?) in the neighborhood where she lived, near the Monoprix in Villers-lès-Nancy: that brutalist concrete cube, Soviet-esque, dropped there like an alien spaceship or a Kaaba devoted to the god of consumerism. The whole neighborhood was grey, full of concrete – and utterly charming.

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    She lived in indescribable chaos: the contents of her drawers and cupboards were almost always strewn across the floor or the bed, as if, after a burglary, she’d simply decided to leave things that way.

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  • Appartement secret / Secret appartment

    FRANÇAIS

    Une fête foraine, un soir d'été. Je m'y balade, accompagné, avec mon appareil photo. Ensuite, je suis avec ma collègue Éliane, à qui je dis que j'ai un appartement secondaire et secret, dans un village à la campagne, quelque part en Lorraine – peut-être sur la route entre Nancy et Blâmont. Sensation de nuit, de protection, de sérénité, lié à cet appartement secret où je peux me cacher et me ressourcer si j'ai besoin de m'y rendre, en pleine nuit.

    ENGLISH

    A funfair on a summer evening. I'm walking around with my camera, accompanied by someone. Then I'm with my colleague, to whom I say that I have a secret second home in a village in the countryside, somewhere in Lorraine – perhaps on the road between Nancy and Blâmont. A feeling of night, of protection, of serenity, linked to this secret home where I can hide and recharge my batteries if I need to go there in the middle of the night.

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  • Nathalie

    FRANÇAIS

    C'est ma première soirée seul à Nancy. J'ai dix-huit ans. Il fait une chaleur insoutenable, et depuis la veille j'évolue dans une hébétude alcoolique entrecoupée de retraites, torse nu, dans la cage d'escalier de mon immeuble où l'obscurité et le silence sont complets. Je marche au hasard dans la ville. J'ai vaguement conscience de descendre vers le grand parc de la Pépinière, découvert la veille. Une femme en robe noire, au regard vide, me croise, au carrefour d'une rue dont je retiens le nom : Damerval. Je l'entends s'effondrer, derrière moi, à quelques mètres. Je l'aide à se relever et fais signe à un type qui approche, que je vais m'en occuper. Elle est complètement confuse, me tutoyant d'emblée. Elle me dit qu'elle habite rue de la Source et je décide de la ramener chez elle, même si je n'ai aucune idée d'où cela se trouve. Elle m'attire énormément et je me fais des films mentaux pendant qu'elle divague. Elle finit par me parler de sa dépendance au Subutex, de son fils mort, de son père qui s'est tiré une balle dans la bouche. Elle s'appelle Nathalie. Elle me dit qu'elle vit avec un certain Hassan ou Hassen, qu'elle décrit comme obèse et ayant « le coeur sur la main ». Arrivés chez elle, elle trouve porte close et agonit d'injures le Hassan ou Hassen en question, manifestement absent, puis nous redescendons. Elle me dit qu'elle comptait travailler ce soir et je finis par comprendre.

    Quand nous ressortons Hassan ou Hassen arrive, obèse au-delà de toute mesure, des bagues aux doigts, un mauvais sourire. La fille essaie de marcher toute seule, trébuche. Elle finit assise à même le sol, dos au mur, dans la ruelle, les cuisses écartées, défaite. Sa culotte noire, transparente, ne cache rien. Je vais pour l'aider à se relever mais Hassan ou Hassen me dit « Laisse. Il va falloir qu'elle se lève toute seule, il faudra bien qu'elle y arrive », sur un ton serein, dénué de toute compassion comme de toute méchanceté, et avec, à mon égard, une curieuse complicité, ou quelque chose qui relève d'une initiation. Elle parvient à se relever au bout d'un petit moment puis ils rentrent chez eux. Elle me dit, avant de nous quitter, que c'est bon pour le plan à trois, qu'untel est au courant, et je ne sais pas si dans son état elle me confond avec un autre, ou si elle joue la comédie devant son lui pour une raison quelconque. Mais elle m'embrasse sur la bouche avant de disparaître. Pendant des années qui suivent, je reviens sans arrêt dans cette rue. Et jamais je ne la revois, ni rue de la Source, ni ailleurs.

    Je ne me souviens plus de son visage. Elle est devenue un fantôme comme tant d'autres. J'ai souvent croisé, rue de la Source, une prostituée âgée, perpétuellement debout, parfois assise sur une chaise de bois. Elle se tenait à l'angle avec la rue Saint-Michel, et quasiment devant l'immeuble où Nathalie m'avait fait entrer – au numéro 20, probablement. J'aurais pu l'interroger ; je ne l'ai jamais fait.

    ENGLISH

    It's my first evening alone in Nancy. I'm eighteen. The heat is unbearable, and since the day before I’ve been drifting in an alcoholic stupor, broken up by shirtless retreats into the stairwell of my building, where darkness and silence are absolute. I wander through the city without direction. I’m vaguely aware I’m heading toward the big park, the Pépinière park, which I discovered the day before. A woman in a black dress, with a vacant look in her eyes, crosses my path at the corner of a street whose name I remember: Damerval. I hear her collapse behind me, just a few meters away. I help her up and wave off a man who’s approaching, signaling that I’ll take care of it. She’s completely disoriented, addressing me informally right away. She says she lives on Rue de la Source, and I decide to walk her home, though I have no idea where that is. I’m incredibly drawn to her and start playing out mental fantasies while she rambles. Eventually she tells me about her Subutex addiction, her dead son, her father who shot himself in the mouth. Her name is Nathalie. She says she lives with someone named Hassan or Hassen, whom she describes as obese and "with a heart of gold". When we arrive, the door is locked. She curses out the absent Hassan or Hassen, then we go back down. She tells me she was supposed to be working tonight, and I finally understand.

    As we step outside again, Hassan or Hassen shows up – grotesquely obese, rings on every finger, wearing a sly, unpleasant smile. The woman tries to walk on her own but stumbles. She ends up sitting on the ground, back against the wall, legs spread, undone. Her black, transparent underwear hides nothing. I go to help her up, but Hassan or Hassen stops me: "Leave her. She’s going to have to get up on her own, sooner or later", he says calmly, without either cruelty or compassion, and with, toward me, a strange sort of complicity – or something that felt like an initiation. She manages to get up after a while, and they go inside. Before leaving, she tells me the threesome is on, that someone’s been informed, and I can't tell if in her state she’s mistaking me for someone else, or if she’s putting on an act for him for some reason. But she kisses me on the mouth before vanishing. For years afterward, I keep returning to that street. I never see her again – not on Rue de la Source, not anywhere.

    I no longer remember her face. She’s become a ghost, like so many others. I often came across an older prostitute on Rue de la Source, always standing, sometimes sitting on a wooden chair. She stood on the corner with Rue Saint-Michel, almost in front of the building where Nathalie had taken me in – number 20, probably. I could have asked her about Nathalie. I never did.

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  • Fontaine

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