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  • Foules / Crowds

    FRANÇAIS

    Je suis avec Sigrid, elle est en noir, belle, jeune, exactement comme quand nous nous fréquentions. Je sais qu'elle est en couple (ou peut-être est-ce moi) mais il y a quelque chose d'irrépressible entre nous. Ensuite nous marchons dans une rue commerçante, probablement celle de la ville où je vis. Je prends Sigrid par la main et elle se laisse faire. Nous entrons dans quelque chose, un endroit qui pourrait être un restaurant ou un hôtel, et qui a un étage où nous montons, et là aussi il y a une vaste salle pleine de monde, et pour une raison que j'ai oubliée c'est là que nous devons nous séparer.

    *

    Le monde est toujours plus vivant, plus chaud, plus peuplé, dans les rêves. Il n'y est pas encore silencieux, vide, immobile, mais encore jeune, ou jeune à nouveau ; comme Sigrid est dans ce rêve à nouveau la jeune fille de vingt ans que j'ai connue autrefois.

    Maintenant que j'y pense, cette scène dans le lieu public où nous entrons est une sorte de variation d'un épisode que nous avons réellement vécu, quand après cette rencontre chez elle à Metz, dans son appartement caché au fond d'une cour intérieure, nous étions sortis marcher ensemble au hasard et avions découvert ce restaurant au bord de l'eau, sur une plateforme de bois ; il faisait bon et grand soleil, et nous avions regardé quelques instants ces familles et ces touristes attablés. Nous n'étions pas du même monde qu'eux. Ou pour le dire autrement nous n'appartenions pas au monde du tout.

    *

    Moi qui aime le silence et la solitude, j'imagine de plus en plus souvent mon appartement rempli d'amis, qui y vivraient leur vie, papoteraient, écouteraient de la musique, regarderaient un film, taperaient quelque chose sur un ordi... chaque pièce, bondée, bruyante, vivante, sans que je n'aie besoin de m'occuper de qui que ce soit.

    ENGLISH

    I'm with Sigrid. She's dressed in black, beautiful, young – exactly as she was when we were seeing each other. I know she's in a relationship (or maybe I am), but there's something irrepressible between us. Then we're walking down a shopping street, probably the one in the city where I live. I take Sigrid's hand and she lets me. We enter a place, maybe a restaurant or a hotel, and it has an upper floor that we go up to. There, too, is a vast room full of people, and for a reason I’ve forgotten, that’s where we have to part.

    *

    The world is always more alive, warmer, more crowded in dreams. It hasn't yet gone silent, empty, still – it is still young, or young again; just as Sigrid, in this dream, is again the twenty-year-old girl I once knew.

    Now that I think of it, that scene in the public place where we go is a kind of variation on something that really happened – after that meeting at her place in Metz, in her apartment hidden deep inside a courtyard, we had gone out to walk together aimlessly and discovered that restaurant by the water, on a wooden deck. The weather was warm and the sun was shining brightly, and we had stood for a few moments watching those families and tourists at their tables. We weren’t part of their world. Or rather, we didn’t belong to the world at all.

    *

    Though I love silence and solitude, I find myself more and more often imagining my apartment filled with friends, living their lives there – chatting, listening to music, watching a film, typing away on a laptop... every room crowded, noisy, alive, without my needing to take care of anyone.

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  • IUT / Institute of Technology (1993)

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    FRANÇAIS

    J'aimais les vieux couloirs de l'IUT ; et plus encore ses cages d'escalier qui, à partir d'une certaine hauteur, étaient constamment désertes et silencieuses. Elles étaient comme des zones de tranquillité ou d'anonymat où je passais de temps à autre, quitte à faire un détour, pour le plaisir d'entrer quelques secondes dans cet espace étrange à l'écart de la fourmilière. Il m'arrivait d'en rêver. Ou de fantasmer à leur sujet. Je ne saurais pas dire quoi exactement ; peut-être de gravir - ou descendre - les marches éternellement, ou alors de découvrir des étages inconnus, nouveaux, fascinants.

    Ai-je montré ces couloirs, ces cages d'escalier, à Laura, lorsqu'elle était venue me rendre visite à Nancy ? L'ai-je rêvé ? L'ai-je simplement imaginé puis intégré fallacieusement au récit de ma vie ?

    « Elle vous avait suivi docilement dans les couloirs infinis de l'Université, toujours plus sombres, plus silencieux, au fur et à mesure que vous y avanciez ; parfois vous croisiez de petits groupes d'étudiants, silencieux, semblant attendre quelque chose, ou assis à des pupitres, à même le couloir. Vous vous étiez ensuite perdus dans d'interminables cages d'escaliers, où de nombreux d'étages s'avéraient inaccessibles, à travers leurs portes vitrées verrouillées, que d'autres couloirs, d'autres escaliers. »

    Je rêve encore régulièrement, je rêve régulièrement depuis vingt ans des couloirs de la fac de Lettres et de l'IUT, et de ceux de mon lycée, de ceux du collège... Des couloirs où je me perds, où je cherche une salle que je ne trouve pas, des couloirs que je hante en sachant que je n'ai plus rien à y faire, ou bien, au contraire, où je reviens pour acquérir quelque chose que j'ai raté à l'époque et qui me manque. Parfois bondés, bruyants, pleins de vie. Parfois silencieux et obscurs. Ils sont le lieu, quoi qu'il en soit, où se rencontrent le destin individuel dans ses moments les plus décisifs - la formation, les choix faits pour l'avenir - et la découverte de la vie collective, l'appartenance heureuse ou pénible au troupeau.

    ENGLISH

    I loved the old corridors of the Institute of Technology; and even more so its stairwells which, from a certain height, were constantly deserted and silent. They were like zones of tranquility or anonymity where I would occasionally pass through, even if it meant taking a detour, just for the pleasure of spending a few seconds in this strange space, apart from the bustle. Sometimes I dreamed of them. Or fantasized about them. I couldn’t say exactly what; maybe endlessly climbing – or descending – the steps, or discovering unknown, new, fascinating floors.

    Did I show those corridors, those stairwells, to Laura when she came to visit me in Nancy? Did I dream it? Did I simply imagine it and then deceitfully incorporate it into the story of my life?

    "She had obediently followed you through the endless corridors of the University, growing darker, quieter the further you went; sometimes you crossed small groups of students, silent, seeming to wait for something, or sitting at desks right in the hallway. You then got lost in endless stairwells, where many floors proved inaccessible, behind their locked glass doors, leading to other corridors, other staircases."

    For twenty years now, I still regularly dream of the corridors of the Faculty of Letters and the Institute of Technology, and of those of my high school, of my middle school… Corridors where I get lost, where I search for a room I can’t find, corridors I haunt knowing I no longer belong there, or on the contrary, where I return to retrieve something I missed at the time and that I now lack. Sometimes crowded, noisy, full of life. Sometimes silent and dark. They are, in any case, the place where individual destiny meets its most decisive moments – education, choices made for the future – and the discovery of collective life, the happy or painful belonging to the herd.

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  • Effluves / Faint smells (2007)

    FRANÇAIS

    Les rues oubliées de Nancy, la nuit, avec leurs immeubles obscurs, l'hôpital central et ses grilles menaçantes, les jardins ouvriers, les ruelles, forment une ville secrète que ne cachent qu'aux touristes la Place Stanislas et les quelques hauts lieux du centre. Revenir à Nancy par ces rues désertes, de nuit, m'a toujours mis mal à l'aise, comme quelque chose qui sent vaguement la mort. Qui sent presque au sens propre – car j'ai toujours assimilé Nancy à l'odeur de la terre, d'une cave ou d'égouts, une odeur légère, presque imperceptible, et d'une profonde tristesse.

    Un lundi blafard au parc. Les allées sont désertes, à l'exception d'un paon, qui incompréhensiblement se promène en liberté. Quelques maigres effluves, mélange de végétation, de bière, de tabac, de déjections animales et de parfum, me frappent et évoquent en moi des images indescriptibles, à la limite de la conscience, incroyablement puissantes ; et j'ai alors l'impression d'être un prisonnier évadé, certain d'être rapidement repris, et cette pensée m'effraye.

    Il arrive que je marche dans les rues d'une ville quelconque, et soudain me monte au nez un effluve de tabac, l'odeur fantôme de la bière, les émanations d'une cuisine ; et me reviennent immédiatement la cité universitaire, la nuit vite tombée en automne, et les filles presque inconnues dont je partageais les repas dans la cuisine commune. Cette vie où chacun se sentait, et était, de fait, un étranger, où chacun n'était que de passage et où par conséquent il était possible d'aborder n'importe qui et de lui proposer de partager un repas ou une soirée paisible, sans que cela n'étonne personne. En une fraction de seconde, avant le moindre mot n'ait le temps de naître dans ma conscience, tout cela m'envahit à m'en briser le cœur, et je dois, sans rien montrer à celui ou celle qui m'accompagne et qui ne le comprendrait pas, tout oublier encore une fois.

    ENGLISH

    The forgotten streets of Nancy at night, with their dark buildings, the central hospital and its threatening gates, the workers’ gardens, the alleyways, form a secret city that only the Place Stanislas and a few prominent spots in the center hide from tourists. Returning to Nancy by these deserted streets at night has always made me uneasy, like something vaguely smelling of death. Almost literally – for I have always associated Nancy with the smell of earth, of a cellar or sewers, a faint, almost imperceptible scent, and a deep sadness.

    A pale Monday at the park. The paths are deserted, except for a peacock, inexplicably roaming free. A few faint smells – a mix of vegetation, beer, tobacco, animal droppings, and perfume – strike me and evoke in me indescribable images, at the edge of consciousness, incredibly powerful; and then I feel like an escaped prisoner, certain to be caught soon, and this thought frightens me.

    Sometimes I walk through the streets of some random city, and suddenly a whiff of tobacco rises to my nose, the ghostly smell of beer, the emanations of a kitchen; and immediately the university dorm comes back to me, the night falling quickly in autumn, and the girls I barely knew with whom I shared meals in the common kitchen. That life where everyone felt – and was – in fact, a stranger, where everyone was just passing through, and where it was therefore possible to approach anyone and invite them to share a meal or a quiet evening, without it surprising anyone. In a fraction of a second, before a single word can form in my mind, all this overwhelms me to the point of breaking my heart, and I must, without showing anything to the one who is with me and would not understand, forget it all once again.

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  • Cité administrative / Administrative Complex (1998)

    FRANÇAIS

    J'avais accompagné Lydie, un jour, à la Cité Administrative. Un lieu en retrait, presque indevinable depuis la rue, dont j'ai un souvenir labyrinthique et qui m'évoque une fourmilière grouillante. C'est du reste l'impression que me donnent les bureaux en général ; des dédales coupés du monde par des stores à demi-baissés, aux moquettes et au mobilier vieillot qui vous font vous sentir comme perdu dans quelque zone oubliée de l'espace-temps.

    J'aimais cette ambiance d'oubli dans le travail, d'uniformité, de silence concentré, de lumière artificielle. J'aimais ne pas savoir, ne pas comprendre ce que les gens ici faisaient exactement. L'opacité du fonctionnement du monde a quelque chose de rassurant et de confortable ; on a conscience qu'on ne sait pas, qu'on ne comprend pas, et qu'on en a pas besoin ; on se sent extérieur, libre, contingent, détaché, désengagé, comme un enfant.

    ENGLISH

    One day, I accompanied Lydie to the Administrative Complex. A secluded place, almost impossible to guess from the street, which I remember as a labyrinth – evoking a swarming anthill. That’s the impression offices tend to give me in general: mazes cut off from the world by half-lowered blinds, with old carpets and outdated furniture that make you feel lost in some forgotten pocket of space-time.

    I liked that atmosphere of work-induced oblivion, of sameness, of concentrated silence, of artificial light. I liked not knowing, not understanding what exactly people were doing there. The opacity of how the world functions has something reassuring, something comforting about it – you’re aware that you don’t know, that you don’t understand, and that you don’t need to. You feel outside it all, free, contingent, detached, disengaged – like a child.

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  • Cocon triste / Sad cocoon (2002)

    FRANÇAIS

    J'aimais la résidence étudiante où vivait J. dans une petite rue endormie perpendiculaire à l'avenue Leclerc. Elle me rappelait – en plus silencieuse, en plus obscure et déserte, comme dans mes rêves – la cité universitaire où j'avais passé tant d'heures à errer de couloir en couloir et de chambre en chambre, auprès de quiconque serait là et voudrait bien de moi. Elle me faisait, pourtant, moins l'effet d'une résidence étudiante que d'un foyer de jeunes travailleurs ; il y avait dans l'air une ambiance, peut-être entièrement imaginaire, d'échec, d'errance dans la vie et de solitude. Un soir, j'avais croisé au rez-de-chaussée, ou dans une salle commune à un étage quelconque, quelques résidents silencieux, rassemblés dans la pénombre devant une télévision. J'avais envié cette atmosphère de cocon triste. Je ne savais pas encore que des années plus tard, je fréquenterais une fille vivotant dans une telle structure, loin de sa famille, incommensurablement seule, incomplète et avide d'une présence à accueillir chez elle et en elle. Je n'avais pas osé lui dire que j'aimais la savoir dans un tel environnement, que je la voulais justement triste et vulnérable, mendiant la moindre preuve d'amour que je pourrais lui donner, et qu'encore au-delà de tout cela, dans un recoin encore plus sombre de mes désirs, tout ce qu'il y avait de masochiste et de mort en moi, inexplicablement, l'enviait, elle aussi.

    ENGLISH

    I liked the student residence where J. lived, tucked away on a sleepy little street off Avenue Leclerc. It reminded me – quieter, darker, more deserted, like in my dreams – of the university housing where I had spent so many hours wandering from corridor to corridor, room to room, lingering near anyone who happened to be there and might accept me. Yet it felt less like a student residence than a shelter for young workers; there was, in the air – perhaps entirely imagined – a sense of failure, of drifting through life, and of solitude. One evening, I passed by a few silent residents, either on the ground floor or in a common room somewhere, huddled together in the dim light in front of a television. I envied that cocoon of quiet sadness. I didn’t yet know that, years later, I would be involved with a girl barely scraping by in a place like that, far from her family, immeasurably alone, incomplete, and craving a presence to welcome into her home and into herself. I hadn’t dared to tell her that I liked knowing she lived in such a place – that I wanted her precisely like that: sad and vulnerable, begging for the smallest sign of love I could offer her. And beyond all that, in a still darker corner of my desire, everything within me that was masochistic and death-bound envied her too, inexplicably.

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  • Direction cimetière / Towards the graveyard

    FRANÇAIS

    Hier soir j'ai pris le parti d'avancer au hasard, là où mes pas me porteraient. Je suis repassé dans la petite ruelle, espérant revoir cette véranda illuminée qui m'avait émerveillé, hier – une véranda vitrée, à 5 côtés, dans laquelle une gentille petite famille passait le temps, à la lueur de bougies et de petites lampes. Quelque chose de presque insupportablement heureux. Mais cette fois, la maison était plongée dans le noir. Pas de magie deux jours de suite, ou en tous cas pas la même.

    Celle d'aujourd'hui allait être plus sombre et plus étrange ; j'aurais dû m'en douter dès le début, dans la rue précédente, avec ce jardin obscur fermé par un grillage tordu et envahi par la végétation, par les ronces, d'où surnageaient quelques petites roses blanches. Je me suis arrêté devant et l'ai regardé longuement, sans savoir exactement pourquoi il me fascinait. Plus loin, alors que j'avais quitté ce petit quartier-là, sans un regret, pour prendre une rue au hasard après la Mairie, je retombais sur la même chose, le même effet ; une petite maison décrépite, au bas d'une longue rue très en pente, avec une grille bien noire, que la végétation recouvrait en partie ; cela cachait l'essentiel de la maison. J'ai toujours aimé ça, cette ambiance de décomposition, de vieillesse, je ne sais pas pourquoi.

    J'ai remonté la rue, dont je me suis rendu compte assez vite que je ne l'avais jamais empruntée. Les maisons m'obsédaient comme toujours dans mes balades nocturnes, avec leurs fenêtres illuminées, chaleureuses, qui font se sentir encore plus seul, et renvoient à quelque chose de sans doute très primitif – l'envie d'aller toquer à la porte pour avoir un peu de chaleur et rencontrer des congénères. S'approprier leurs vies, aussi, leur univers, car une maison, c'est un univers en soi. Souvent, rien que la couleur d'un papier peint, un tableau au mur, la forme d'une lampe, font naître des histoires et des fantasmes. Chaque maison est un roman.

    La rue débouchait sur la cité. Sur la totalité de mon champ de vision, des HLM de petite taille, des gazons, des chemins bétonnés, des garages ; un monde miniature parfaitement organisé, domestiqué. J'avançai droit devant moi, dépassant des groupes d'ados tranquilles, des pères de famille, personne ne prêtait attention à moi. Les HLM oranges, illuminés, semblaient irréels.

    Devant une belle maison : je me plaçai par rapport au réverbère et aux branches des arbres au dessus de moi, pour avoir la plus belle lumière et le plus beau cadrage. Et je réalisai à nouveau que je ne vois pas la réalité ; je vois mes fantasmes, et je n’aborde pas le réel comme un réel, mais comme une matière esthétique, une œuvre qui ne demanderait qu’à être fixée, en appuyant sur un bouton.

    En sortant de la cité HLM j'étais à nouveau en terrain connu ; rien ne m'empêchait de redescendre vers la mairie, puis de rentrer chez moi. Mais comme en rêve, je vis à nouveau des chemins et des rues qui montaient vers des quartiers que je n'avais pas remarqués jusque là. Je montai une rue discrète où presque toutes les maisons étaient plongées dans le noir. L'impression d'irréalité se fit plus forte, et culmina quand j'arrivai devant le cimetière. Sa longue muraille terminait la rue et barrait l'horizon ; au dessus, la lune, absolument pleine, jaunâtre, énorme. Le funérarium ressemblait à un bâtiment romain, et avec ses plantes exotiques, en façade, j'eus plus que jamais l'impression d'être dans un décor. De l'autre côté de la route, c'étaient des entrepôts, puis des arbres et la nuit.

    Je longeai le cimetière et descendis un petit chemin sous les branches, qui donnait sur les champs ; on sortait de la ville. Mais un autre embranchement menait vers des baraquements militaires à l'abandon, fermés par des barbelés. Le sol était boueux. La sensation d'irréalité laissa la place à d'autres pensées, plus personnelles, des visages anciens me revenaient. Un changement subtil d’ambiance, d’un pas à l’autre, comme toujours, à plusieurs reprises pendant les ballades ; chaque coin de rue, chaque nuance architecturale, chaque subtile modification de l’éclairage emporte vers d’autres mondes intérieurs. Je pensais à Émilie Forest. Je me répétais son nom, comme un mantra, ou comme pour lui redonner un peu de réalité, un peu de chair. Son nom ne m'étais pas apparu depuis des années, et semblait surgi d'une vie antérieure. Émilie Forest ; une apprentie serveuse qui était ma voisine de palier quand j'étais jeune étudiant, et qui fut la première personne que j'y ai connue et fréquentée pendant quelques semaines avant qu'elle disparaisse purement et simplement. Je me suis demandé si elle allait bien.

    *

    Note : en relisant le récit de cette balade, j'ai pensé à Béatrice, en me demandant pourquoi, puisqu'elle n'a jamais vécu dans ce quartier, avant de réaliser que c'est aujourd'hui au cimetière en haut de la côte qu'elle habite, ou pour être plus exact, que se trouvent les cendres de son corps. Je me souviens maintenant aussi que je lui avais donné ce texte à lire, puisque nous parlions de la méditation, qu'elle pratiquait assidument pour tenir aussi éloignée que possible la douleur – en plus des multiples doses de kétamine qu'elle s'envoyait quotidiennement – généralement sans grand succès. Je lui soutenais donc que de se balader dans un certain état d'esprit s'apparentait à une forme de méditation ; avancer sans réfléchir, l'esprit vide, entièrement ouvert aux perceptions d'une part, aux idées et images mentales naissant toute seules, incontrôlées, dans l'esprit, d'autre part.

    ENGLISH

    Last night, I chose to wander aimlessly, letting my steps take me wherever they wished. I passed again through the little alley, hoping to catch sight once more of that illuminated veranda that had so enchanted me the night before – a five-sided glass veranda where a sweet little family was spending time together by the light of candles and small lamps. Something almost unbearably happy. But this time, the house was shrouded in darkness. No magic two nights in a row – or at least, not the same kind.

    Tonight’s magic would be darker and stranger; I should have guessed it right from the start, in the previous street, where there was a shadowy garden behind a twisted fence, overrun with vegetation and brambles, with a few pale white roses floating above it all. I stopped in front of it and stared for a long time, not knowing exactly why it fascinated me. Farther on, having left that little neighborhood behind without regret, I took a street at random after the Town Hall – and there it was again, the same feeling. A small, decrepit house at the bottom of a steep street, with a deep black gate partly swallowed by vegetation. It obscured most of the house. I’ve always loved that kind of thing – that atmosphere of decay and age – I don’t know why.

    I climbed the street and quickly realized I had never walked it before. The houses obsessed me, as they always do during my night walks, with their lit-up windows, so warm and inviting, making you feel all the more alone, and evoking something no doubt very primitive – the urge to knock on the door, just to get a little warmth and meet fellow humans. To take over their lives, too, their worlds – because a house is a world unto itself. Often, just the color of a wallpaper, a painting on the wall, the shape of a lamp, is enough to spark stories and fantasies. Every house is a novel.

    The street opened onto the housing project. Across my entire field of view: small apartment blocks, lawns, paved paths, garages – a miniature world, perfectly organized, domesticated. I walked straight ahead, passing quiet teenagers and fathers with kids – no one paid me any attention. The orange, illuminated apartment blocks looked unreal.

    In front of a beautiful house, I positioned myself with respect to the streetlamp and the branches above me to get the best light, the best framing. And once again, I realized I wasn’t seeing reality – I was seeing my fantasies, and I wasn’t approaching the real as real, but as aesthetic matter, a work just waiting to be captured by the press of a button.

    Leaving the housing project, I was back in familiar territory; nothing stopped me from heading back down to the Town Hall, then home. But like in a dream, I saw paths and streets again, rising toward neighborhoods I hadn’t noticed before. I climbed a quiet street where nearly every house was dark. The sense of unreality grew stronger and peaked when I reached the cemetery. Its long wall closed off the street and blocked the horizon; above it, the moon – absolutely full, yellowish, enormous. The funeral home looked like a Roman building, and with its exotic plants out front, I felt more than ever as if I were on a set. Across the road, there were warehouses, then trees, then night.

    I walked along the cemetery wall and took a small path beneath the branches that led to open fields – we were leaving the city. But another branch of the path led toward some abandoned military barracks, fenced off with barbed wire. The ground was muddy. The feeling of unreality gave way to other thoughts, more personal ones; old faces came back to me. A subtle shift in mood, step by step, as always during these walks – every corner, every architectural nuance, every faint change in lighting carries you into another inner world. I thought of Émilie Forest. I repeated her name like a mantra, or as if to give it back a bit of substance, a bit of flesh. I hadn’t thought of that name in years – it felt like it belonged to a past life. Émilie Forest: a waitress-in-training who had lived in the apartment across from mine when I was a young student, the first person I met there and spent time with for a few weeks before she simply vanished. I wondered if she was doing okay.

    Note: Upon rereading this account of the walk, I thought of Béatrice and wondered why, since she never lived in that neighborhood – before realizing that today, it’s in the cemetery at the top of the hill where she lives now, or to be more exact, where her ashes lie. I now remember that I had given her this text to read, since we were talking about meditation – a practice she pursued diligently to keep the pain at bay – as far away as possible – on top of the multiple doses of ketamine she was taking daily, generally with little success. I argued that walking in a certain state of mind was akin to a form of meditation: moving forward without thinking, with an empty mind, fully open to perceptions on one hand, and to the spontaneous, uncontrolled images and thoughts rising within on the other.

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  • Passage Marceau (2012)

    FRANÇAIS

    Je m'enfonce, seul, sous le passage Marceau, à la recherche de ces fameux bains que vantent des enseignes de bois effacées par le temps. Ils ont disparu depuis longtemps, mais je trouve avec soulagement ce que ce genre de passages offre toujours : la semi-pénombre, le silence, et cette odeur d'urine immémoriale qui me transporte immédiatement vers ma plus petite enfance, dans les WC de l'école primaire où je me cachais et attendais que le temps passe. Cette atmosphère unique, inimitable, de pisse et de détergent, est pour moi le symbole même du passé, du froid, de la solitude, d'une tristesse vague mais lancinante, et plus voluptueuse que n'importe quoi d'autre.

    ENGLISH

    I wait for someone to enter or leave, and slip in as soon as possible between two ageless, indifferent students. No guard, no cleaning lady stops me or demands, every few steps, that I justify my presence here. But all the way through, I walk these corridors with the feeling of being a gatecrasher, a stowaway doomed to expulsion and the harshest consequences. A smell of fresh paint still lingers in the silent hallways, as if someone had tried, before I arrived, to cover up what needed hiding, to erase even the most miserable traces left by a few people I once loved. I come across no one. I’ve forgotten the room numbers. I can’t find the kitchen. I’m not even sure which floor I’m on. It’s like in those dreams where I return to the building I grew up in, but everything has changed – the stairwell, the layout of the walls, everything except the silence and the absence of life.

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