Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Explorations

  • Un monde de ruelles / A world of backstreets (2011)

    exploration psychogéographique,être perdu,hébétude,larmes,hortensias

    exploration psychogéographique,être perdu,hébétude,larmes,hortensias

    FRANÇAIS

    Des après-midi entières j'avance hébété dans les rues de quartiers qui me sont inconnus. Le sentiment d'être perdu, de me perdre volontairement, mêlé au choc de la vision de certains immeubles, de certaines ruelles, de certains détails comme des volets rouillés ou des hortensias morts dans un jardinet, me mènent au bord des larmes. Je parle seul avec la conscience que les passants, les automobilistes me voient, mais je crois en leur réalité encore moins qu'en la mienne.

    Je m'enfonce de plus en plus dans un monde toujours plus éloignée du centre et des lieux de vie, un monde de ruelles et d'arrière-cours, d'entrées d'immeuble sordides, de fenêtres opacifiées, de rideaux vieillots et sales, de rouille et d'odeurs de cave, où je peux enfin trouver le repos.

    ENGLISH

    Entire afternoons I wander dazed through the streets of neighborhoods unknown to me. The feeling of being lost – of deliberately losing myself – mixed with the shock of seeing certain buildings, certain alleyways, certain details like rusted shutters or dead hydrangeas in a tiny garden, brings me to the verge of tears. I talk to myself, fully aware that passersby and drivers can see me, but I believe in their reality even less than in my own.

    I sink deeper and deeper into a world ever more removed from the center and from places where life happens  – a world of alleyways and backyards, of sordid building entrances, of clouded windows, faded and dirty curtains, rust and the smell of damp cellars, where I can finally find rest.

    Lien permanent Catégories : Explorations, Nancy, Souvenirs / Memories 0 commentaire Pin it!
  • La fatigue et la vieillesse (non-daté) / Old age and fatigue (undated)

    FRANÇAIS

    J'entre dans des cours intérieures, des résidences muettes et qui semblent inhabitées. L'humidité et la moisissure mangent le crépi gris, contaminent tout de leur noirceur puante, qui vide le cœur de tout courage. Combien d'étudiants, de jeunes hommes et de jeunes femmes, dans ces murs qui étaient vieux avant même d'avoir été achevés ? Je les imagine au début de leur vie adulte, avec quelque chose sur le visage qui trahit déjà la fatigue et la vieillesse, une  fatigue qui émane des murs et les irradie jusqu'au plus profond de leurs cellules. Eux aussi, vieux avant d'avoir été construits.

    ENGLISH

    I enter inner courtyards, silent residences that seem uninhabited. Dampness and mold eat away at the gray plaster, contaminating everything with their foul blackness, which empties the heart of all courage. How many students, young men and women, within these walls, that were old even before they were finished? I picture them at the beginning of their adult lives, with something on their faces already betraying fatigue and old age, a fatigue that emanates from the walls and irradiates them down to the deepest part of their cells. They too, old before they were built.

    Lien permanent Catégories : Explorations, Nancy, Souvenirs / Memories 0 commentaire Pin it!
  • Rue de Metz (2015)

    FRANÇAIS

    Un homme attend quelque chose, un large sac de courses à la main, dos à un commerce abandonné. De larges cartons vert sombre cachent l'intérieur du magasin, mais évoquent bizarrement quelque chose de vivant, de gai, comme les couleurs violentes des bidonvilles.

    Je longe une « cordonnerie clé minute ». Dans une faible lueur bleutée de crépuscule, la lumière chaude, accueillante, qui vient du magasin, donne envie d'y entrer – peut-être même d'y travailler. J'aime l'odeur du caoutchouc, du métal qui chauffe ; l'odeur des garages, de la graisse, des moteurs, du béton froid et humide et des chauffages d'appoint.

    Une section de rue où il n'y a aucune autre lumière que celle, insuffisante et jaunâtre, d'un lampadaire au premier étage d'un immeuble. On se croirait, fugitivement, dans une ville abandonnée, une ville de fin du monde, inhabitée, silencieuse et noire.

    J'entre dans un couloir qui donne sur les cuisines et la cave d'un restaurant. Le long des murs courent des câbles, des tuyaux métalliques. C'est l'envers du décor, la remise, la marge, dans le noir et sans bruit ni discours, qui m'a toujours attiré plus que la vie. Un escalier monte vers une poche d'obscurité totale. Peut-être vers des logements. Je les imagine silencieux et noirs, inhabités – ou alors par une population marginale, qui ne sortirait jamais et vivrait là comme dans un monde parallèle.

    ENGLISH

    A man waits for something, a large shopping bag in hand, his back to an abandoned shop. Dark green cardboard sheets cover the interior of the store, but strangely evoke something alive, joyful – like the vivid colors of shantytowns.

    I walk past a "key-cutting cobbler". In the faint bluish light of dusk, the warm, welcoming glow spilling from the shop invites you in – perhaps even to work there. I love the smell of rubber, heating metal; the scent of garages, grease, engines, cold damp concrete, and space heaters.

    A stretch of street where there is no other light than the weak, yellowish glow of a streetlamp on the first floor of a building. For a fleeting moment, it feels like an abandoned city, an end-of-the-world town, uninhabited, silent, and dark.

    I enter a corridor opening onto the kitchens and cellar of a restaurant. Along the walls run cables, metal pipes. It’s the backstage, the storage, the margin – in darkness and without noise or conversation – that has always attracted me more than life itself. A staircase climbs into a pocket of total darkness. Perhaps leading to apartments. I imagine them silent and black, uninhabited – or inhabited by a marginalized population, who would never come out and live there as if in a parallel world.

    Lien permanent Catégories : Explorations, Nancy 0 commentaire Pin it!
  • Coulisses (2006) / Backstage (2006)

    FRANÇAIS

    Je n'ai qu'une envie, me perdre. Un pont métallique anonyme m'amène vers des rues inconnues, banales et presque vides, où je longe des arrières d'immeubles et d'administrations, les coulisses de la ville en quelque sorte ; des lieux qui ne sont appelées à jouer aucun rôle dans ma vie et qui m’attirent pour cette raison. Plus loin : des immeubles bourgeois cachés derrière de hauts arbres. Une petite rue ombragée, discrète ; pendant une seconde je crois être à nouveau à Paris, dans les rues qui bordaient notre appartement de la rue Auguste Laurent, et sans raison compréhensible à moi-même, soudain je me sens bien, totalement perméable, traversé en permanence, au moindre stimulus visuel, sonore, olfactif, par des émotions, des souvenirs, des visions paisibles et heureuses, sur lesquelles je n'ai aucun contrôle, et qui semblent n'avoir aucune cohérence, ne dessiner aucun moi, et cela me libère. Je vois une fille sortir d'un immeuble, marcher vers sa propre vie.

    ENGLISH

    I have only one desire: to get lost. An anonymous metal bridge leads me toward unfamiliar, ordinary, almost empty streets, where I pass along the backs of apartment buildings and government offices – the city’s backstage, so to speak; places destined to play no role in my life, and for that reason they draw me in. Further on: bourgeois buildings hidden behind tall trees. A small, shaded, discreet street; for a second, I think I’m back in Paris, on the streets near our apartment on rue Auguste Laurent, and without any reason I can understand, suddenly I feel good, completely permeable, continuously flooded – at the slightest visual, auditory, or olfactory stimulus – by emotions, memories, peaceful and happy visions over which I have no control and which seem to have no coherence, to sketch no self, and that frees me. I see a girl come out of a building, walking toward her own life.

    Lien permanent Catégories : Explorations, Nancy 0 commentaire Pin it!
  • Souvenirs d'enfance vagues (non-daté) / Vague childhood memories (undated)

    FRANÇAIS

    Une entrée de garage mène à ce qui ressemble à un petit quartier caché. On ose à peine y entrer, pour découvrir des maisons basses et mitoyennes. Des plantes en pot sont disposées devant. Un vieux banc de bois. Un garage envahi par les herbes qui poussent à travers le sol craquelé, inégal. On s'attend à croiser le fantôme d'une grand-mère dont on aurait que des souvenirs d'enfance vagues. Derrière les façades des boulevards, les enseignes des franchises, les dorures et les ornements, c'est toujours la même tristesse ouvrière, les mêmes décors moroses et répétitifs qui se laissent explorer mais ne livrent rien de la vie qu'ils recèlent – ou ont recelée. Rue Keller, je m’arrête longuement devant un rosier qui a poussé le long d'un mur pourri et d'une fenêtre aux volets métalliques rouillés.

    ENGLISH

    A garage entrance leads to what looks like a hidden little neighborhood. One hardly dares to step inside, only to discover low, terraced houses. Potted plants are arranged out front. An old wooden bench. A garage overrun with weeds sprouting through the cracked, uneven ground. You half expect to run into the ghost of a grandmother you only remember vaguely from childhood. Behind the façades of the boulevards, behind the chain store signs, the gilding and ornaments, it’s always the same working-class sadness, the same dreary, repetitive settings – open to exploration, yet revealing nothing of the life they contain – or once contained. On Rue Keller, I stop for a long while in front of a rose bush that has grown along a rotting wall and a window with rusted metal shutters.

    Lien permanent Catégories : Explorations, Nancy 0 commentaire Pin it!
  • Marges / Margins (2008)

    nancy (1).JPG

    nancy (2).JPG

    nancy (4).JPG

    FRANÇAIS

    J'ai rendez-vous avec elle ; avec son corps, avec son lit, avec sa chambre obscure, sans fenêtre si ce n'est une verrière étrange au plafond qui laisse filtrer une faible luminescence laiteuse, et les ombres d'innombrables plantes. Quand j'arrive elle n'est pas encore seule et me le fait savoir d'une voix terne, impersonnelle, au téléphone. Alors je tue le temps. Sur l'avenue Leclerc, au crépuscule, déserte, pluvieuse et bleutée, je passe en revue les articles misérables du Diabolino – « tout pour la fête et la jonglerie » – dont l'enseigne lumineuse fatiguée, est presque la seule source de lumière dans la rue. Elle montre un visage de femme, stylisé, qui porte un loup.

    J'avance au hasard, débouche dans de petites rues anonymes ou qui mériteraient de l'être – vagues juxtapositions de HLM et d'immeubles de bureaux, au travers des fenêtres desquels on devine des salles de travail, de réunion, de conférence. Une vie intellectuelle, administrative, scientifique, se joue-là, collectivement, à laquelle je ne prends aucune part, ce qui m'inspire un vague regret. Je photographie des cages d'escaliers, des entrées d'immeubles illuminées. Je ne suis jamais rassasié de portes entrouvertes et de fenêtres sur la vie des autres, sur les détails les plus concrets et les plus banals de leurs vies, auxquels ils ne prêtent aucune attention, mais qui me hantent.

    D'épais nuages métalliques s'amoncellent au-dessus de la ville et cachent le crépuscule rose ; ils ont quelque chose d'indéfinissablement attirant, pourtant, loin de toute menace. L'idée de la pluie apparaît presque voluptueuse.

    Je rejoins le boulevard Jean Jaurès, l'une des voies d'entrée de la ville. Ravivant mon fantasme ancien d'y prendre une chambre d'hôtel, là précisément, à la marge de la ville, où rien ne se passe et où personne ne s'arrête. Certain d'y vivre aussi anonyme et introuvable qu'à l'autre bout du monde.

    Enfin nous nous retrouvons et sortons, quelques heures plus tard, pour marcher alors qu'il pleuviote. La tristesse de ces rues ouvrières étroites et grises, de ces maisons mitoyennes, basses, étroites et grises, et des vies étroites, basses et grises, et révoltantes, qui ne peuvent que s'y dérouler. Le corps se révolte contre cette laideur, cette grisaille dans laquelle on est enfermé comme dans une prison, mais cette révolte avant que d'avoir pu produire de la colère, s'échoue en tristesse. Nous croisons des prostituées à un carrefour. Nous les dépassons pour explorer le quartier de Saurupt. Je la prends en photo sous la pluie et nous rentrons faire l'amour.

    ENGLISH

    I have a rendezvous with her; with her body, with her bed, with her dark room, windowless except for a strange glass canopy in the ceiling that lets in a faint, milky luminescence, and the shadows of countless plants. When I arrive, she’s not yet alone and lets me know in a dull, impersonal voice, over the phone. So I kill time. On Avenue Leclerc, at dusk – deserted, rainy, and bluish – I browse the miserable items of a shop called Diabolino – "everything for parties and juggling" – whose tired neon sign is nearly the only source of light on the street. It shows a stylized woman’s face wearing a mask.

    I wander aimlessly, ending up in small anonymous streets, that deserve to be anonymous – vague juxtapositions of housing projects and office buildings, behind whose windows one can glimpse meeting rooms, workspaces, conference halls. An intellectual, administrative, scientific life plays out there, collectively, one I take no part in, which fills me with a vague regret. I photograph stairwells, the lit-up entrances of apartment blocks. I am never sated with half-open doors and windows into other people’s lives, into the most concrete and banal details of their existence, which they pay no attention to, but which haunt me.

    Heavy metallic clouds gather above the city, hiding the pink dusk; yet they are somehow indescribably alluring, far from threatening. The idea of rain feels almost voluptuous.

    I reach Boulevard Jean Jaurès, one of the main ways into the city. It revives an old fantasy of mine: to take a hotel room there, precisely there, at the city's margins, where nothing happens and no one stops. To live there as anonymously and untraceably as at the far end of the world.

    Finally, we meet up and go out a few hours later to walk in the drizzle. The sadness of these narrow, gray working-class streets, these low, narrow, gray terraced houses, and the narrow, low, gray, revolting lives that can only be lived there. The body rebels against this ugliness, this grayness in which we are locked up like in a prison, but this rebellion, before it can produce anger, ends in sadness. We see prostitutes at a crossroads. We walk past them to explore the Saurupt neighborhood. I take a picture of her in the rain and we go home to make love.

    Lien permanent Catégories : Blog, Explorations, Nancy 0 commentaire Pin it!
  • Blâmont (english)

    These photos were used as illustrations for a small booklet published by other comrades from the Eastern Psychogeographic Collective, recounting their own vision of the exploration of Blâmont – their collective exploration took place on a different day, without a camera. It should be somewhere on the internet. 

    blamont (1).jpg

    blamont (2).jpg

    These greyish, poor, old-fashioned houses remind me of Méry-sur-Seine, which I visited with a friend a few years ago, near Troyes. The same could be said of Saint-Mihiel, in the Meuse. This color of plaster is almost the reason this blog exists. It evokes in me – although I didn’t grow up in that kind of setting at all – ancestral memories, as if the memory of my ancestors’ abject poverty in the 19th century had somehow passed into my blood.

    blamont (3).jpg

    blamont (5).jpg

    Hardly anyone in the streets, on a weekday morning. The few passersby heading to the only open bakery are the only Blâmont residents I’ll come across – apart from the only bar’s customers.

    blamont (6).jpg

    For how many decades has this wall borne that painted hexagon? The entire town seems frozen in time. Accustomed to living in cities that have invested heavily over the years to modernize, refresh, and adapt to economic, touristic, and ecological demands, wandering through Blâmont feels like traveling back in time.

    blamont (7).jpg

    blamont (8).jpg

    The typical kind of bakery I find myself entering before heading to high school, in those repetitive, dreary dreams that remain incomprehensible after all these years; old-fashioned shops with yellowish lighting, mere passageways no one really pays attention to, where no one talks to anyone, where you walk in still half-asleep – if not simply dulled by the weariness of facing yet another identical day. These passageway places – bakeries, downtown supermarkets, buses, building lobbies and corridors – are taking up more and more space in my mental landscape, though I can't quite say why. Perhaps because they are real life, the actual places where it unfolds, and reality always ends up demanding a place of its own.

    blamont (9).jpg

    blamont (11).jpg

    These grey shutters take me back to Nancy. Metal, rust, rain – the basic ingredients of my twenties. Growing up, learning about life in an environment marked by age, decay, and the visible passage of time – but also by the beauty of what has passed – is an experience that shapes people in a fundamentally different way than being born and raised in a Ikea / prefab homes kind of setting, where everything is replaced every five years according to trends and the latest clever piece of furniture or gadget to acquire. Those residential neighborhoods with brand-new, shiny houses, where everything looks like it just came out of the factory, frighten and depress me more than any desolation found in a decaying industrial town.

    blamont (12).jpg

    blamont (14).jpg

    A nearly medieval alleyway with scabrous walls. A vampire movie set – if not for the PVC roller shutters.

    blamont (22).jpg

    There’s something comforting, something familiar, in these houses that seem to huddle against one another; people live packed together, close together, keeping each other warm.

    blamont (24).jpg

    blamont (36).jpg

    blamont (37).jpg

    blamont (42).jpg

    Everything is quiet here because everything is over. Which means one can finally begin to live.

    blamont (43).jpg

    blamont (47).jpg

    blamont (49).jpg

    blamont (50).jpg

    Nothing moves, nothing is noisy, nothing bubbles – except perhaps the inner thought, made sharper by the absence of distraction.

    blamont (55).jpg

    blamont (58).jpg

    Small houses to live small lives. A fantasy of simplicity, anonymity, and silence.

    Lien permanent Catégories : Blâmont, Explorations, Groupement Psychogéographique de l'Est, Photos 0 commentaire Pin it!
  • Blâmont (français)

    Ces photos ont servi d'illustrations pour une petite brochure éditée par d'autres camarades du Groupement Psychogéographique de l'Est, narrant leur propre vision de l'exploration de Blâmont – leur exploration, collective, s'étant déroulée un autre jour, sans appareil photo. Cela doit se trouver quelque part sur le net. 

    blamont (1).jpg

    blamont (2).jpg

    Ces maisons grisâtres, pauvres, vieillottes, me font penser à Méry-sur-Seine que j'avais visitée avec un ami il y a quelques années, dans les environs de Troyes. On pourrait en dire autant de Saint-Mihiel, dans la Meuse. Cette couleur de crépis est presque la raison de l'existence de ce blog. Elle m'évoque, bien que je n'aie pas du tout grandi dans ce genre de décor, des souvenirs ancestraux, comme si la mémoire de la misère noire de mes ancêtres au XIXè siècle était passée dans le sang.

    blamont (3).jpg

    blamont (5).jpg

    Personne ou presque dans les rues, un matin en pleine semaine. Ces passants marchant vers l'unique boulangerie ouverte sont les seuls Blâmontais que je croiserai, clients du bistrot exceptés.

    blamont (6).jpg

    Depuis combien de décennies ce mur porte-t-il cet hexagone peint ? La ville entière semble être « dans son jus ». Habitué à vivre dans des villes qui ont lourdement investi au fil du temps pour se moderniser, se rafraîchir, s'adapter aux exigences économiques, touristiques, écologiques, etc, déambuler Blâmont a quelque chose du voyage dans le temps.

    blamont (7).jpg

    blamont (8).jpg

    Typiquement le genre de boulangeries dans lesquelles j'entre avant d'aller au lycée, dans ces rêves répétitifs, moroses, incompréhensibles après toutes ces années ; des commerces vieillots à l'éclairage jaunâtre, purs lieux de passage auxquels on ne prête pas réellement attention et où personne ne parle à personne, où l'on entre encore engourdi de sommeil quand ce n'est pas de lassitude de devoir encore une journée identique à tant d'autres. Ces lieux de passages – boulangeries, supermarchés de centre ville, autobus, halls et couloirs d'immeubles – sont un paysage qui grandit toujours plus dans mon paysage mental, sans que je ne sache exactement pourquoi. Peut-être parce qu'ils sont la vraie vie, les vrais lieux où elle se déroule, et que le réel finit toujours par exiger qu'on lui laisse une place.

    blamont (9).jpg

    blamont (11).jpg

    Ces volets gris me renvoient à Nancy. Le métal, la rouille, la pluie ; les ingrédients de base de mes vingt ans. Grandir, apprendre la vie, dans un environnement marqué par la vieillesse, la détérioration, les effets visibles du temps, mais aussi la beauté des choses passées est une expérience, et produit des êtres fondamentalement différents, que lorsqu'on nait et se développe dans un décor Conforama, Ikea, maisons Phénix, où tout est remplacé tous les cinq ans en fonction des modes et des nouveaux meubles ou objets malins à acquérir. Ces quartiers résidentiels de maisons neuves, rutilantes, ou tout semble sortir à peine de l'usine, m'effraient et me dépriment plus que n'importe quelle désolation de ville industrielle sinistrée.

    blamont (12).jpg

    blamont (14).jpg

    Une ruelle quasi-médiévale aux murs lépreux. Un décor de film de vampire, si n'étaient ces rideaux roulants en PVC.

    blamont (22).jpg

    Il y a quelque chose de confortable, de familial, dans ces maisons qui semblent se presser les unes contre les autres ; on vit entassés, on vit collés, on se tient chaud.

    blamont (24).jpg

    blamont (36).jpg

    blamont (37).jpg

    blamont (42).jpg

    Tout est calme ici, parce que tout est terminé. Ce qui signifie que l'on peut commencer à vivre.

    blamont (43).jpg

    blamont (47).jpg

    blamont (49).jpg

    blamont (50).jpg

    Rien ne bouge, rien n'est bruyant, rien ne bouillonne, sauf peut-être la pensée intérieure, rendue plus vive par l’absence de distraction.

    blamont (55).jpg

    blamont (58).jpg

    Petites maisons où vivre de petites vies. Fantasme de simplicité, d'anonymat, de silence.

    Lien permanent Catégories : Blâmont, Explorations, Groupement Psychogéographique de l'Est, Photos 0 commentaire Pin it!
  • Errance éternelle (non-daté) / Eternal wandering (undated)

    FRANÇAIS

    Rues écrasées de soleil, à midi. Par moments, l'espace d'un instant, les ténèbres invisibles qui enveloppent la ville se dissipent imperceptiblement et on dirait que quelque chose, qui aurait à voir avec la vie, pourrait arriver, va arriver. Ensuite l'errance reprend.

    *

    Les immeubles bourgeois, leurs cages d'escaliers silencieuses, leurs portes fermées, leurs ascenseurs, l'impression de mystère et d'étrangeté qui s'en dégagent, la fascination qu'ils exercent sur moi et qui vient de mon enfance, d'avoir suivi ma mère dans des immeubles de ce genre, chez le médecin ou dans des administrations ou dans d'autres circonstances encore que je ne comprenais pas vraiment. C'était comme si des mondes entiers se cachaient derrière des portes, dans des couloirs anonymes, silencieux, labyrinthiques, apparemment infinis.

    *

    Des cours intérieures dans la ville, que j'imagine comme des haltes, des lieux de repos dans une errance interminable, éternelle, à travers un labyrinthe.

    ENGLISH

    Streets crushed by the noonday sun. At times – just for a moment – the invisible darkness shrouding the city lifts, ever so slightly, and it feels as though something – something to do with life – might happen, is about to happen. Then the aimless wandering resumes.

    The bourgeois buildings, their silent stairwells, their closed doors, their elevators – the sense of mystery and strangeness they exude, the fascination they hold for me, rooted in childhood: following my mother into places like these, to doctors’ offices, to administrative appointments, or into situations I didn’t quite understand. It was as if entire worlds were hidden behind those doors, in those anonymous corridors – silent, labyrinthine, seemingly endless.

    Inner courtyards in the city, that I imagine as resting places – brief halts in an endless, eternal wandering through a maze.

    Lien permanent Catégories : Explorations, Nancy 0 commentaire Pin it!
  • Vouloir se perdre / The desire to get lost (2014)

    FRANÇAIS

    Je me perds dans les impasses et les chemins semi-privés qui bordent le parc Sainte-Marie. Jardins et garages, flaques d'eau, gravier. Je fixe, fasciné sans savoir pourquoi, les fenêtres obscures, qui ne révèlent rien, du lycée. Son béton qui a la même couleur que le ciel, blanchâtre, opaque, à la fois vide et qui semble lourd de quelque chose, de quelque menace.

    Rue du Vieil Aître, je photographie une vieille maison à la verrière cassée, envahie de branches griffues. Son crépi est sale, noirâtre. Les volets peints en bleu comme ceux des maisons balnéaires dans l'ouest de la France. Ils sont fermés sur des pièces probablement vides, inhabitées, qui n'ont pas vu la lumière depuis des années.

    Je me retrouve dans des cours d'immeubles où je n'ai rien à faire, rien qui puisse justifier ma présence. Dans des immeubles de bureaux ou de logements. Une plaque signale ici le cabinet d'un médecin. Lieux de mille vies qui se rejoignent dans le fait de ne pas être la la mienne. Couloirs lumineux et baignés de soleil – ou bien obscurs, silencieux, attirants parce qu'ils évoquent pour moi quelque chose comme le sommeil. La sécurité.

    Derrière les portes cochères, d'innombrables immeubles protégés des regards, dont on se demande à quoi ils ressemblent exactement, à quoi rêvent leurs occupants.

    Je longe les voies rapides qui bordent le centre-ville, poursuivant mes circonvolutions toujours plus larges, mon exil toujours plus grand vers des zones anonymes. Il n'est plus question de nostalgie ou de pèlerinage, mais de fuite, d'une quête incessante de nouveaux quartiers déserts et silencieux que je ne connais pas et où je ne veux que me perdre temporairement, pour n'y jamais revenir.

    Il faut vouloir se perdre pour découvrir des rues et des passages transversaux, étroits, que l'on avait jamais remarqués. D'où viennent ceux qui vivent là ? Comment y sont-ils arrivés eux-mêmes ? Existent-ils seulement ? Ces habitants des confins ne sont après tout qu'hypothétiques : je ne croise absolument personne.

    Cheminées de briques rouges. Volets en bois, à la peinture lépreuse. Arrière-cours et parkings où s'entassent bizarrement des boîtes aux lettres – peut-être leurs propriétaires se sont-ils concertés pour ne plus être joignables ; pour intensifier encore leur isolement. C'est ce que je ferais à leur place.

    Au milieu exact d'une maison, une fenêtre absurdement murée, seule parmi d'autres. Des câbles électriques qui zèbrent le ciel, vont d'une maison à l'autre, longent les murs, entrent enfin dans des fenêtres noires qu'aucune vitre ne ferme plus depuis longtemps.

    Au bord du canal, parmi les feuilles mortes et les passerelles métalliques, je regarde un jeune homme et une jeune femme transporter de petits meubles. Bouffée d'envie, à nouveau. Je traverse et m'enfonce dans d'autres ruelles. Certaines cours voient, le long des murets, pousser des rosiers sauvages. Encore des boîtes aux lettres ; certaines sont barrées, scellées de ruban adhésif noir. Ces maisons sont du même crépis beige sale que celle de mes grands-parents. Une nuance qui a elle seule évoque l'après-guerre, les caves humides, l'odeur de la terre. Il me suffit de la voir pour être triste. D'une tristesse préférable à de nombreux plaisirs.

    Abords de la Villa Majorelle, à la nuit tombée. Immeubles Art-Déco, aux couleurs pastel ; des couleurs douces, féminines, qui encore une fois évoquent le sommeil. Je m'arrête devant un bâtiment recouvert de crépi brun, sale comme une vieille moquette, aux fenêtres en verre armé qui ne laissent échapper qu'une lumière laiteuse et faible, attirante comme le néant.

    ENGLISH

    I lose myself in the dead ends and semi-private paths that border Sainte-Marie Park. Gardens and garages, puddles and gravel. I stare, fascinated without knowing why, at the dark windows of the high school. They reveal nothing. Its concrete is the same color as the sky – whitish, opaque – both empty and seemingly heavy with something, with some kind of threat.

    On Rue du Vieil Aître, I photograph an old house with a broken glass roof, overrun by clawing branches. Its plaster is dirty, blackish. The shutters are painted blue like seaside houses in western France. They are closed over rooms likely empty and uninhabited, untouched by light for years.

    I find myself in building courtyards where I have no business, nothing to justify my presence. Office or apartment buildings. A plaque here indicates a doctor’s practice. Places of a thousand lives that share one thing: not being mine. Corridors flooded with sunlight – or else dark, silent, alluring because they evoke something like sleep to me. Safety.

    Behind carriage doors, countless buildings shielded from view. One wonders what they truly look like, what their occupants dream of.

    I follow the expressways skirting the city center, widening my path in ever larger spirals, a growing exile into anonymous zones. There is no longer any question of nostalgia or pilgrimage, but of flight – an endless search for new, deserted, silent neighborhoods I don’t know and where I want only to lose myself briefly, never to return.

    You must want to get lost to discover streets and narrow side passages you never noticed before. Who lives here? How did they get here themselves? Do they even exist? These fringe-dwellers are, after all, hypothetical: I don’t see a single soul.

    Red brick chimneys. Wooden shutters with peeling paint. Backyards and parking lots where mailboxes are strangely clustered together – perhaps their owners have agreed to no longer be reachable, to deepen their isolation. That’s what I would do in their place.

    In the exact middle of a house, a single bricked-up window, absurd among others. Electrical wires stripe the sky, run from one house to another, snake along walls, and finally enter black windows long since missing their glass.

    By the canal, among dead leaves and metal footbridges, I watch a young man and a young woman carry small pieces of furniture. A sudden rush of longing. I cross over and vanish into more alleyways. In some courtyards, wild rose bushes grow along low walls. More mailboxes – some crossed out, sealed with black tape. These houses are covered in the same grimy beige plaster as my grandparents’ house. A color that alone evokes the post-war era, damp cellars, the smell of earth. Just seeing it makes me sad. A sadness preferable to many pleasures.

    Outskirts of the Villa Majorelle, at nightfall. Art Deco buildings in pastel tones; soft, feminine colors that again evoke sleep. I stop in front of a building covered in brown plaster, filthy like old carpet, with wired glass windows that let out only a weak, milky light – something as alluring as the void.

    Lien permanent Catégories : Explorations, Nancy 0 commentaire Pin it!
  • Marcher sans trêve / Walking without end

    FRANÇAIS

    Rues sans histoire, aux volets fermés. Tout a l'air vieux, fatigué et sale ; en d'autres termes, réel ; inhospitalier, voire hostile, mais bien réel, comparé à la propreté factice et à la convivialité factice des quartiers touristiques. Je ne croise que peu de passants. J'imagine leur absence totale et le silence encore plus grand, la paix encore plus grande des dimanches, des grandes vacances. Je longe des murs à hauteur d'homme qui cachent des jardins, des endroits où peuvent jouer et grandir des enfants. Des lieux où l'on peut s'arrêter de marcher sans trêve. Des murs qui cachent un repos qui m'est inaccessible.

    ENGLISH

    Streets without stories, with shutters closed. Everything looks old, tired, and dirty – in other words, real; inhospitable, even hostile, but far more real than the fake cleanliness and forced friendliness of tourist districts. I pass only a few people. I imagine their total absence, the even deeper silence, the even greater peace of Sundays, of long summer holidays. I walk along low walls, chest-high, hiding gardens – places where children might play and grow. Places where one could stop walking without end. Walls that conceal a kind of rest that remains out of reach for me.

    Lien permanent Catégories : Explorations, Nancy 0 commentaire Pin it!
  • Fantôme d'obsession (2005) / The ghost of an obsession (2005)

    FRANÇAIS

    Je passe des matinées, des journées entières à errer dans les rues de Nancy sur Google Street View. Des rues que je ne connais pas, que je n'ai jamais vues, et dont je sais que je n'y marcherai jamais. Une expérience désincarnée et morose qui me suffit. Depuis longtemps mon rapport à Nancy n'a plus rien de charnel ni de vrai, il n'est plus ni expérience, ni même souvenir d'une expérience, il n'est même plus une obsession sincère, mais un fantôme d'obsession.

    ENGLISH

    I spend mornings, whole days, wandering the streets of Nancy on Google Street View. Streets I don’t know, that I’ve never seen, and that I know I’ll never walk down. A disembodied, joyless experience that is enough for me. For a long time now, my connection to Nancy has had nothing carnal or real about it anymore; it is no longer an experience, nor even the memory of an experience – it’s not even a sincere obsession anymore, but the ghost of an obsession.

    Lien permanent Catégories : Explorations, Nancy 0 commentaire Pin it!
  • Vivoter dans les ruines / Living in the ruins

    FRANÇAIS

    Cet après-midi j'ai été chassé de chez moi par le boucan à l'étage au-dessus. Une fois de plus. Je suis donc parti me promener en voiture, dans une colère noire et ai échoué à Cirey.

    J'y ai erré tout l'après-midi dans un état de sidération et d'excitation grandissante, en réalisant que toute la ville n'était à peu de chose près qu'une immense friche industrielle, aménagée et habitée. Avec ces rues entières de bâtiments visiblement inoccupés, inhabités, menaçant ruine. La grisaille, les pierres nues, les jardins à l'abandon. La végétation qui prolifère et donne une atmosphère paisible au désastre. Seules quelques rues pavillonnaires, semblables à celles de toutes les autres communes de France, semblaient récentes et en bonne santé, croissant dans toutes les directions aux confins de la ville, comme évitant son centre de ruines maudites.

    Jamais je n'ai eu autant cette impression de voir un environnement d'après la fin du monde – et à l'échelle locale c'est réellement le cas ; la petite ville a connu une heure de gloire industrielle dont il ne reste rien aujourd'hui, et ses habitants vivent au milieu des ruines, au sens propre.

    J'ai vu une femme ouvrir la porte d'un entrepôt abandonné qui lui servait apparemment de garage, peut-être même de pièce à vivre, qui sait, dans une usine abandonnée jouxtant sa maison.

    J'ai vu une cabane en bois construite sur un ancien terrain industriel en friche. Des habitants y avaient aménagé des jardins.

    J'ai erré sur des terrains au sol entièrement constitué de gravats, parsemé de maisons en ruines et d'entrepôts qui semblaient avoir été bombardés.

    Un passé plus lointain se laissait deviner aussi ; en passant dans une ruelle désolée où je ne pensais rien trouver, j'ai vu le linteau extrêmement ouvragé de ce qui semblait une maison très ancienne et luxueuse ; une habitante, assise sur les marches de sa propre maison, mitoyenne de l'autre, m'a appris que tout cela constituait autrefois un véritable château. Une pancarte le confirmait quelques mètres plus loin. Face au « château » de petites granges en agglos et en bois menaçaient ruine. Ainsi, ici aussi, les gens du crû vivotaient dans les ruines d'un passé glorieux.

    En y repensant, mon excitation était une occurrence de plus de cet état malsain, anormal, dans lequel j'arrive à me plonger quand j'explore de nouveaux lieux qui s'avèrent être vieux, délabrés, déserts. Je devrais préférer la vie, la beauté, l'animation, mais non, c'est l'entropie qui manifestement m'attire.

    ENGLISH

    This afternoon, I was driven out of my home once again by the racket upstairs. So I got in my car, seething with anger, and ended up in Cirey.

    I spent the entire afternoon wandering through the town in a state of shock and growing excitement, realizing that the whole place was, for the most part, a vast industrial wasteland – inhabited and repurposed. Entire streets of visibly unoccupied, uninhabited, crumbling buildings. The greyness, the bare stone, the overgrown gardens. Vegetation spreading everywhere, lending a strangely peaceful air to the devastation. Only a few residential streets – identical to those in any other French town – seemed recent and in good health, sprawling outward at the town’s edges, as if deliberately avoiding the cursed, ruined center.

    I have never felt so strongly that I was witnessing a post-apocalyptic landscape – and on a local scale, that’s exactly what it is. This small town once had its moment of industrial glory, but nothing remains of it today. Its inhabitants quite literally live among the ruins.

    I saw a woman open the door of an abandoned warehouse she seemed to be using as a garage – perhaps even as a living space – right next to her house.

    I saw a wooden shack built on the overgrown grounds of a former industrial site. Locals had turned the area into makeshift gardens.

    I wandered across terrain where the ground was made entirely of rubble, scattered with ruined houses and warehouses that looked like they'd been bombed.

    Hints of a more distant past surfaced too. Walking down a desolate alley where I expected to find nothing, I came across an intricately carved lintel, once part of what must have been a luxurious old house. A woman sitting on the steps of her own adjoining home told me it had all once been a castle. A sign a few meters away confirmed it. Facing the “castle” were dilapidated sheds made of cinder blocks and wood, on the verge of collapse. Here too, the locals were eking out their lives among the remnants of a glorious past.

    Thinking back on it, that excitement I felt was yet another instance of the unhealthy, abnormal state I enter when exploring unfamiliar places that turn out to be old, dilapidated, deserted. I should prefer life, beauty, vibrancy – but no, it's entropy that draws me in, unmistakably.

    Cirey (1).jpg

    Cirey (2).jpg

    Cirey (4).jpg

    Cirey (5).jpg

    Cirey (6).jpg

    Cirey (7).jpg

    Cirey (8).jpg

    Cirey (9).jpg

    Cirey (10).jpg

    Cirey (11).jpg

    Cirey (13).jpg

    Cirey (15).jpg

    Cirey (16).jpg

    Cirey (18).jpg

    Cirey (19).jpg

    Cirey (20).jpg

    Cirey (21).jpg

    Lien permanent Catégories : Cirey-sur-Vezouze, Explorations, Photos 0 commentaire Pin it!
  • Vitrines vides / Empty storefronts

    FRANÇAIS

    Rue de Mon-Désert. Fenêtres opaques. Magasins fermés. Vitrines vides qui laissent deviner des arrière-boutiques où l’on aimerait se réfugier, se cacher comme pour toujours. Je longe une vitrine vide qui donne sur un mur lui-même percé de petites fenêtres opaques en verre armé. Un espace absurde, une répétition, une ouverture qui ne donne sur rien. Me revient un rêve où je me perdais dans une gare déserte. Je finissais dans un bistrot aussi sinistre que tout le reste. La porte des toilettes donnait sur un couloir étroit aux murs nus. D'autres portes, dans ce couloir, menaient à des cabinets, d'autres à des réduits minuscules et vides, dont je comprenais qu'il s'agissait pour certains de logements. Je voulais ressortir, mais toutes les portes menaient à des toilettes ou à des pièces vides, je tournais en rond dans un espace entièrement fermé et aberrant, l'issue vers le bistrot avait disparu.

    ENGLISH

    Rue de Mon-Désert. Opaque windows. Closed shops. Empty storefronts hinting at backrooms one might long to hide in – forever, perhaps. I walk past a vacant storefront, behind which stands a wall, itself punctuated by small opaque windows made of wired glass. An absurd space, a repetition, an opening that opens onto nothing. It brings back a dream – I was lost in a deserted train station. I ended up in a bar as bleak as everything else. The restroom door led to a narrow corridor with bare walls. Other doors along that corridor opened into toilet stalls, or into tiny, empty closets that I came to understand were meant, for some, to be dwellings. I wanted to get out, but every door led either to a bathroom or to an empty room. I kept circling through a space that was entirely enclosed and senseless. The way back to the bar had vanished.

    Lien permanent Catégories : Explorations, Nancy 0 commentaire Pin it!
  • Exil / Exile (2012)

    FRANÇAIS

    Une rue sinistre, qu'on dirait abandonnée et inhabitée depuis une quelconque guerre. Partout, de vieux volets métalliques perpétuellement fermés. Les barreaux aux fenêtres des rez-de-chaussée évoquent des images de prisons, d'internats vieillots et humides, de jeunesse inconfortable et triste.

    Sigrid vivait là, et c'était le décor parfait pour son exil intérieur dans la pauvreté et l'humiliation, dont je me demandais à quel degré il était volontaire. Pour arriver à son appartement il fallait emprunter, à travers des couloirs étroits et mal éclairés, un trajet tortueux qui donnait l'impression de s'enfoncer dans des bas-fonds secrets ; un labyrinthe invisible depuis la rue, menant à des enfers privés, insoupçonnables.

    J'ai gardé, au fil des années, ses adresses successives dans un répertoire. Elles forment un pauvre itinéraire, peu parlant, mais qui comme les numéros de téléphone ou les bribes de conversation dans un dossier d'archives, sont les seules choses tangibles auxquelles je puisse me raccrocher.

    ENGLISH

    A grim street, seemingly abandoned and uninhabited since some forgotten war. Everywhere, old metal shutters permanently closed. The bars on the ground-floor windows evoked images of prisons, of damp, outdated boarding schools, of an uncomfortable and sorrowful youth.

    Sigrid lived there, and it was the perfect setting for his inner exile into poverty and humiliation, the degree to which it was voluntary I often wondered. To reach his apartment, you had to follow a tortuous path through narrow, poorly lit corridors, giving the impression of descending into hidden depths; an invisible labyrinth from the street, leading to private, unsuspected hells.

    Over the years, I kept his successive addresses in a notebook. They form a poor itinerary, scarcely meaningful, but like old phone numbers or scraps of conversation in an archive file, they are the only tangible things I have left to hold on to.

    Lien permanent Catégories : Explorations, Nancy, Souvenirs / Memories 0 commentaire Pin it!
  • Rue de Maréville

    FRANÇAIS

    J'ai réalisé quelque chose cette semaine : le rêve est plus réel que la veille. La vie diurne, la vie quotidienne, la vie réputée réelle, est qui objectivement est évidemment réelle, ne paraît pourtant pas réelle ; elle a l'air d'un rêve cotonneux, répétitif, grisâtre, où rien n'a vraiment d'importance ou de poids, tant nous sommes pris dans des habitudes, des automatismes, des situations stéréotypées qui ne demandent aucune attention véritable ; dans une pauvreté d'existence ; et nous nous perdons dans des rêveries, des fantasmes, des projets, des fictions, du matin au soir, pour échapper à cela.

    À l'inverse, dans les rêves, on ne rêvasse pas : on est bien là, on est attentif, on expérimente le monde dans toute sa réalité, toute son intensité. Les décors, les objets, les gens, les situations. On vit l'instant en pleine conscience.

    Cela m'a fait penser à cette expérience récente alors que j'étais en voiture avec France vers ce bar où avait lieu une soirée. Nous étions passés, juste après la tombée de la nuit, dans cette longue rue de Maréville, discrète, paisible, qui va de Laxou à Nancy, et où l'on ne s'arrête pas si l'on a rien à y faire ; un pur lieu de passage auquel on ne prête habituellement pas attention. Elle était peu éclairée et j'avais eu l'impression d'être entré dans une zone étrange, délabrée, désertée, anarchique, une bulle de calme entourée de larges boulevards et de voies rapides.

    Les maisons de ville aux crépis sales, noircis par le temps et la fumée, ou aux couleurs brunâtres, terreuses, m'avaient rappelé la campagne et évoqué, comme toujours, les photos sépia, le passé, la terre meuble d'une tombe. Ces maisons étaient parfois à moitié cachées au fond de petits jardins, ou derrière des murets de béton comme chez mes grands-parents quand j'étais enfant.

    Des parkings sauvages et des terrains vagues, herbeux, abandonnés, entre des maisons de ville – un gâchis d'espace proprement miraculeux à notre époque d'optimisation forcenée.

    Même les résidences neuves, modernes, au sens hideux du terme, avaient quelque chose de confortable, bordélique, accueillant, comme le reste de la rue. Les balcons étaient encombrés de plantes vertes, de parasols, de mobilier de jardins, j'avais eu l'impression de retrouver le bric à brac de mon enfance, chez mes parents ou ma grand-mère maternelle.

    La dernière chose qui m'avait marqué était ce vieil homme assis en train de lire, parfaitement visible à travers une baie vitrée, à un quelconque étage d'un immeuble moderne – peut-être un EHPAD, d'ailleurs. Le contraste entre l'obscurité presque totale de la rue où nous passions en voiture et la chaleur, la lumière, la paix qui régnait derrière cette vitre, m'avait saisi.

    Il faudrait réussir à reproduire à volonté cette expérience mentale d'attention aiguë, de sensibilité exacerbée à l'environnement, cette impression de réel.

    ENGLISH

    I realised something this week: dream is more real than being awake. Day‑time life, everyday life – the life we agree is "real" and which, objectively, obviously is real – doesn’t feel real; it resembles a fuzzy, repetitive, greyish dream in which nothing truly matters or carries weight, because we’re trapped in habits, automatisms, stereotyped situations that demand no genuine attention, trapped in the poverty of mere existence. From morning till night we lose ourselves in daydreams, fantasies, plans, fictions, just to escape it.

    By contrast, in dreams we don’t drift – we are fully present, alert, experiencing the world in all its reality and intensity: the settings, the objects, the people, the situations. We live the moment in complete awareness.

    It reminded me of a recent moment when I was in the car with France heading to a bar for an evening out. Just after nightfall we drove down that long Rue de Maréville – quiet, discreet, running from Laxou to Nancy – where you never stop unless you have business there, a pure passageway that usually draws no notice. Dimly lit, it felt as though I had entered a strange, dilapidated, deserted, anarchic zone, a bubble of calm surrounded by wide boulevards and expressways.

    The townhouses, their stucco façades grimy, blackened by time and smoke, or painted in brownish, earthy tones, reminded me of the countryside and evoked, as always, sepia photographs, the past, the loose soil of a grave. Some houses were half‑hidden at the back of small gardens or behind concrete walls like the ones at my grandparents’ when I was a child.

    There were informal parking lots and grassy, abandoned vacant lots between the houses – a positively miraculous waste of space in our age of relentless optimisation.

    Even the new, "modern" apartment blocks – in the ugliest sense of the word – had something comfortable, messy, welcoming about them, like the rest of the street. Balconies were heaped with green plants, parasols, garden furniture; I felt I had recovered the jumble of my childhood, at my parents’ place or my maternal grandmother’s.

    The last thing that struck me was an old man sitting and reading, perfectly visible through a picture window on one of the upper floors of a modern building – perhaps a care home. The contrast between the almost total darkness of the street we were driving along and the warmth, the light, the peace that reigned behind that pane shook me.

    If only one could summon at will that mental state of keen attention, of heightened sensitivity to one’s surroundings, that impression of the real.

    Lien permanent Catégories : Blog, Explorations, Nancy, Trajets en voiture / Car rides 0 commentaire Pin it!
  • Façades noircies (2013) / Black walls (2013)

    FRANÇAIS

    Une chaise est posée contre un mur, incongrue, au fond d'une ruelle crasseuse. Comme une invitation à s'arrêter là, à trouver son repos dans une éternité de décrépitude miséricordieuse.

    Des fenêtres fermées, noires. Que cachent-elles ? Quels labyrinthes, quels taudis, quelles puanteurs, quelles poches de ténèbres merveilleuses cachent-elles ?

    ENGLISH

    A chair is placed against a wall, incongruous, at the end of a filthy alley. Like an invitation to stop there, to find rest in an eternity of merciful decay.

    Closed, black windows. What do they hide? What labyrinths, what slums, what stench, what pockets of marvelous darkness do they conceal?

    Lien permanent Catégories : Explorations, Nancy 0 commentaire Pin it!
  • Rue Jeanne d'Arc

    FRANÇAIS

    Façades grises, sans ornement. Portes métalliques laissant deviner, à travers leurs vitres opaques, des couloirs d'entrée plongés dans une demi-pénombre. Certains numéros de rue sont grossièrement peints à même les murs. Gouttières rouillées. D'autres portes, encore, en bois, à la peinture écaillée et aux vitres minces, recouvertes de poussière. Sur la façade d’un immeuble, une verrière laisse voir un genre de salon au premier étage, aux couleurs absurdement vives, vulgaires, surgies des années 70. Des placards fermés par de long rideaux oranges et mauves. Des plantes artificielles.

    (Tout n'est que syphilis)

    ENGLISH

    Gray, unadorned facades. Metal doors hinting, through their frosted glass, at entrance hallways bathed in semi-darkness. Some street numbers are roughly painted directly onto the walls. Rusty gutters. Other doors, made of wood, with peeling paint and thin, dust-covered panes. On the facade of one building, a glass canopy reveals a kind of living room on the first floor, with absurdly bright, vulgar colors reminiscent of the 70s. Cabinets closed with long orange and mauve curtains. Artificial plants.

    (Everything is syphilis)

    Lien permanent Catégories : Explorations, Nancy 0 commentaire Pin it!
  • Direction cimetière / Towards the graveyard

    FRANÇAIS

    Hier soir j'ai pris le parti d'avancer au hasard, là où mes pas me porteraient. Je suis repassé dans la petite ruelle, espérant revoir cette véranda illuminée qui m'avait émerveillé, hier – une véranda vitrée, à 5 côtés, dans laquelle une gentille petite famille passait le temps, à la lueur de bougies et de petites lampes. Quelque chose de presque insupportablement heureux. Mais cette fois, la maison était plongée dans le noir. Pas de magie deux jours de suite, ou en tous cas pas la même.

    Celle d'aujourd'hui allait être plus sombre et plus étrange ; j'aurais dû m'en douter dès le début, dans la rue précédente, avec ce jardin obscur fermé par un grillage tordu et envahi par la végétation, par les ronces, d'où surnageaient quelques petites roses blanches. Je me suis arrêté devant et l'ai regardé longuement, sans savoir exactement pourquoi il me fascinait. Plus loin, alors que j'avais quitté ce petit quartier-là, sans un regret, pour prendre une rue au hasard après la Mairie, je retombais sur la même chose, le même effet ; une petite maison décrépite, au bas d'une longue rue très en pente, avec une grille bien noire, que la végétation recouvrait en partie ; cela cachait l'essentiel de la maison. J'ai toujours aimé ça, cette ambiance de décomposition, de vieillesse, je ne sais pas pourquoi.

    J'ai remonté la rue, dont je me suis rendu compte assez vite que je ne l'avais jamais empruntée. Les maisons m'obsédaient comme toujours dans mes balades nocturnes, avec leurs fenêtres illuminées, chaleureuses, qui font se sentir encore plus seul, et renvoient à quelque chose de sans doute très primitif – l'envie d'aller toquer à la porte pour avoir un peu de chaleur et rencontrer des congénères. S'approprier leurs vies, aussi, leur univers, car une maison, c'est un univers en soi. Souvent, rien que la couleur d'un papier peint, un tableau au mur, la forme d'une lampe, font naître des histoires et des fantasmes. Chaque maison est un roman.

    La rue débouchait sur la cité. Sur la totalité de mon champ de vision, des HLM de petite taille, des gazons, des chemins bétonnés, des garages ; un monde miniature parfaitement organisé, domestiqué. J'avançai droit devant moi, dépassant des groupes d'ados tranquilles, des pères de famille, personne ne prêtait attention à moi. Les HLM oranges, illuminés, semblaient irréels.

    Devant une belle maison : je me plaçai par rapport au réverbère et aux branches des arbres au dessus de moi, pour avoir la plus belle lumière et le plus beau cadrage. Et je réalisai à nouveau que je ne vois pas la réalité ; je vois mes fantasmes, et je n’aborde pas le réel comme un réel, mais comme une matière esthétique, une œuvre qui ne demanderait qu’à être fixée, en appuyant sur un bouton.

    En sortant de la cité HLM j'étais à nouveau en terrain connu ; rien ne m'empêchait de redescendre vers la mairie, puis de rentrer chez moi. Mais comme en rêve, je vis à nouveau des chemins et des rues qui montaient vers des quartiers que je n'avais pas remarqués jusque là. Je montai une rue discrète où presque toutes les maisons étaient plongées dans le noir. L'impression d'irréalité se fit plus forte, et culmina quand j'arrivai devant le cimetière. Sa longue muraille terminait la rue et barrait l'horizon ; au dessus, la lune, absolument pleine, jaunâtre, énorme. Le funérarium ressemblait à un bâtiment romain, et avec ses plantes exotiques, en façade, j'eus plus que jamais l'impression d'être dans un décor. De l'autre côté de la route, c'étaient des entrepôts, puis des arbres et la nuit.

    Je longeai le cimetière et descendis un petit chemin sous les branches, qui donnait sur les champs ; on sortait de la ville. Mais un autre embranchement menait vers des baraquements militaires à l'abandon, fermés par des barbelés. Le sol était boueux. La sensation d'irréalité laissa la place à d'autres pensées, plus personnelles, des visages anciens me revenaient. Un changement subtil d’ambiance, d’un pas à l’autre, comme toujours, à plusieurs reprises pendant les ballades ; chaque coin de rue, chaque nuance architecturale, chaque subtile modification de l’éclairage emporte vers d’autres mondes intérieurs. Je pensais à Émilie Forest. Je me répétais son nom, comme un mantra, ou comme pour lui redonner un peu de réalité, un peu de chair. Son nom ne m'étais pas apparu depuis des années, et semblait surgi d'une vie antérieure. Émilie Forest ; une apprentie serveuse qui était ma voisine de palier quand j'étais jeune étudiant, et qui fut la première personne que j'y ai connue et fréquentée pendant quelques semaines avant qu'elle disparaisse purement et simplement. Je me suis demandé si elle allait bien.

    *

    Note : en relisant le récit de cette balade, j'ai pensé à Béatrice, en me demandant pourquoi, puisqu'elle n'a jamais vécu dans ce quartier, avant de réaliser que c'est aujourd'hui au cimetière en haut de la côte qu'elle habite, ou pour être plus exact, que se trouvent les cendres de son corps. Je me souviens maintenant aussi que je lui avais donné ce texte à lire, puisque nous parlions de la méditation, qu'elle pratiquait assidument pour tenir aussi éloignée que possible la douleur – en plus des multiples doses de kétamine qu'elle s'envoyait quotidiennement – généralement sans grand succès. Je lui soutenais donc que de se balader dans un certain état d'esprit s'apparentait à une forme de méditation ; avancer sans réfléchir, l'esprit vide, entièrement ouvert aux perceptions d'une part, aux idées et images mentales naissant toute seules, incontrôlées, dans l'esprit, d'autre part.

    ENGLISH

    Last night, I chose to wander aimlessly, letting my steps take me wherever they wished. I passed again through the little alley, hoping to catch sight once more of that illuminated veranda that had so enchanted me the night before – a five-sided glass veranda where a sweet little family was spending time together by the light of candles and small lamps. Something almost unbearably happy. But this time, the house was shrouded in darkness. No magic two nights in a row – or at least, not the same kind.

    Tonight’s magic would be darker and stranger; I should have guessed it right from the start, in the previous street, where there was a shadowy garden behind a twisted fence, overrun with vegetation and brambles, with a few pale white roses floating above it all. I stopped in front of it and stared for a long time, not knowing exactly why it fascinated me. Farther on, having left that little neighborhood behind without regret, I took a street at random after the Town Hall – and there it was again, the same feeling. A small, decrepit house at the bottom of a steep street, with a deep black gate partly swallowed by vegetation. It obscured most of the house. I’ve always loved that kind of thing – that atmosphere of decay and age – I don’t know why.

    I climbed the street and quickly realized I had never walked it before. The houses obsessed me, as they always do during my night walks, with their lit-up windows, so warm and inviting, making you feel all the more alone, and evoking something no doubt very primitive – the urge to knock on the door, just to get a little warmth and meet fellow humans. To take over their lives, too, their worlds – because a house is a world unto itself. Often, just the color of a wallpaper, a painting on the wall, the shape of a lamp, is enough to spark stories and fantasies. Every house is a novel.

    The street opened onto the housing project. Across my entire field of view: small apartment blocks, lawns, paved paths, garages – a miniature world, perfectly organized, domesticated. I walked straight ahead, passing quiet teenagers and fathers with kids – no one paid me any attention. The orange, illuminated apartment blocks looked unreal.

    In front of a beautiful house, I positioned myself with respect to the streetlamp and the branches above me to get the best light, the best framing. And once again, I realized I wasn’t seeing reality – I was seeing my fantasies, and I wasn’t approaching the real as real, but as aesthetic matter, a work just waiting to be captured by the press of a button.

    Leaving the housing project, I was back in familiar territory; nothing stopped me from heading back down to the Town Hall, then home. But like in a dream, I saw paths and streets again, rising toward neighborhoods I hadn’t noticed before. I climbed a quiet street where nearly every house was dark. The sense of unreality grew stronger and peaked when I reached the cemetery. Its long wall closed off the street and blocked the horizon; above it, the moon – absolutely full, yellowish, enormous. The funeral home looked like a Roman building, and with its exotic plants out front, I felt more than ever as if I were on a set. Across the road, there were warehouses, then trees, then night.

    I walked along the cemetery wall and took a small path beneath the branches that led to open fields – we were leaving the city. But another branch of the path led toward some abandoned military barracks, fenced off with barbed wire. The ground was muddy. The feeling of unreality gave way to other thoughts, more personal ones; old faces came back to me. A subtle shift in mood, step by step, as always during these walks – every corner, every architectural nuance, every faint change in lighting carries you into another inner world. I thought of Émilie Forest. I repeated her name like a mantra, or as if to give it back a bit of substance, a bit of flesh. I hadn’t thought of that name in years – it felt like it belonged to a past life. Émilie Forest: a waitress-in-training who had lived in the apartment across from mine when I was a young student, the first person I met there and spent time with for a few weeks before she simply vanished. I wondered if she was doing okay.

    Note: Upon rereading this account of the walk, I thought of Béatrice and wondered why, since she never lived in that neighborhood – before realizing that today, it’s in the cemetery at the top of the hill where she lives now, or to be more exact, where her ashes lie. I now remember that I had given her this text to read, since we were talking about meditation – a practice she pursued diligently to keep the pain at bay – as far away as possible – on top of the multiple doses of ketamine she was taking daily, generally with little success. I argued that walking in a certain state of mind was akin to a form of meditation: moving forward without thinking, with an empty mind, fully open to perceptions on one hand, and to the spontaneous, uncontrolled images and thoughts rising within on the other.

    Lien permanent Catégories : Explorations, Souvenirs / Memories 0 commentaire Pin it!
  • Passage Marceau (2012)

    FRANÇAIS

    Je m'enfonce, seul, sous le passage Marceau, à la recherche de ces fameux bains que vantent des enseignes de bois effacées par le temps. Ils ont disparu depuis longtemps, mais je trouve avec soulagement ce que ce genre de passages offre toujours : la semi-pénombre, le silence, et cette odeur d'urine immémoriale qui me transporte immédiatement vers ma plus petite enfance, dans les WC de l'école primaire où je me cachais et attendais que le temps passe. Cette atmosphère unique, inimitable, de pisse et de détergent, est pour moi le symbole même du passé, du froid, de la solitude, d'une tristesse vague mais lancinante, et plus voluptueuse que n'importe quoi d'autre.

    ENGLISH

    I wait for someone to enter or leave, and slip in as soon as possible between two ageless, indifferent students. No guard, no cleaning lady stops me or demands, every few steps, that I justify my presence here. But all the way through, I walk these corridors with the feeling of being a gatecrasher, a stowaway doomed to expulsion and the harshest consequences. A smell of fresh paint still lingers in the silent hallways, as if someone had tried, before I arrived, to cover up what needed hiding, to erase even the most miserable traces left by a few people I once loved. I come across no one. I’ve forgotten the room numbers. I can’t find the kitchen. I’m not even sure which floor I’m on. It’s like in those dreams where I return to the building I grew up in, but everything has changed – the stairwell, the layout of the walls, everything except the silence and the absence of life.

    Lien permanent Catégories : Explorations, Nancy 0 commentaire Pin it!