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parc sainte-marie

  • Vouloir se perdre / The desire to get lost (2014)

    FRANÇAIS

    Je me perds dans les impasses et les chemins semi-privés qui bordent le parc Sainte-Marie. Jardins et garages, flaques d'eau, gravier. Je fixe, fasciné sans savoir pourquoi, les fenêtres obscures, qui ne révèlent rien, du lycée. Son béton qui a la même couleur que le ciel, blanchâtre, opaque, à la fois vide et qui semble lourd de quelque chose, de quelque menace.

    Rue du Vieil Aître, je photographie une vieille maison à la verrière cassée, envahie de branches griffues. Son crépi est sale, noirâtre. Les volets peints en bleu comme ceux des maisons balnéaires dans l'ouest de la France. Ils sont fermés sur des pièces probablement vides, inhabitées, qui n'ont pas vu la lumière depuis des années.

    Je me retrouve dans des cours d'immeubles où je n'ai rien à faire, rien qui puisse justifier ma présence. Dans des immeubles de bureaux ou de logements. Une plaque signale ici le cabinet d'un médecin. Lieux de mille vies qui se rejoignent dans le fait de ne pas être la la mienne. Couloirs lumineux et baignés de soleil – ou bien obscurs, silencieux, attirants parce qu'ils évoquent pour moi quelque chose comme le sommeil. La sécurité.

    Derrière les portes cochères, d'innombrables immeubles protégés des regards, dont on se demande à quoi ils ressemblent exactement, à quoi rêvent leurs occupants.

    Je longe les voies rapides qui bordent le centre-ville, poursuivant mes circonvolutions toujours plus larges, mon exil toujours plus grand vers des zones anonymes. Il n'est plus question de nostalgie ou de pèlerinage, mais de fuite, d'une quête incessante de nouveaux quartiers déserts et silencieux que je ne connais pas et où je ne veux que me perdre temporairement, pour n'y jamais revenir.

    Il faut vouloir se perdre pour découvrir des rues et des passages transversaux, étroits, que l'on avait jamais remarqués. D'où viennent ceux qui vivent là ? Comment y sont-ils arrivés eux-mêmes ? Existent-ils seulement ? Ces habitants des confins ne sont après tout qu'hypothétiques : je ne croise absolument personne.

    Cheminées de briques rouges. Volets en bois, à la peinture lépreuse. Arrière-cours et parkings où s'entassent bizarrement des boîtes aux lettres – peut-être leurs propriétaires se sont-ils concertés pour ne plus être joignables ; pour intensifier encore leur isolement. C'est ce que je ferais à leur place.

    Au milieu exact d'une maison, une fenêtre absurdement murée, seule parmi d'autres. Des câbles électriques qui zèbrent le ciel, vont d'une maison à l'autre, longent les murs, entrent enfin dans des fenêtres noires qu'aucune vitre ne ferme plus depuis longtemps.

    Au bord du canal, parmi les feuilles mortes et les passerelles métalliques, je regarde un jeune homme et une jeune femme transporter de petits meubles. Bouffée d'envie, à nouveau. Je traverse et m'enfonce dans d'autres ruelles. Certaines cours voient, le long des murets, pousser des rosiers sauvages. Encore des boîtes aux lettres ; certaines sont barrées, scellées de ruban adhésif noir. Ces maisons sont du même crépis beige sale que celle de mes grands-parents. Une nuance qui a elle seule évoque l'après-guerre, les caves humides, l'odeur de la terre. Il me suffit de la voir pour être triste. D'une tristesse préférable à de nombreux plaisirs.

    Abords de la Villa Majorelle, à la nuit tombée. Immeubles Art-Déco, aux couleurs pastel ; des couleurs douces, féminines, qui encore une fois évoquent le sommeil. Je m'arrête devant un bâtiment recouvert de crépi brun, sale comme une vieille moquette, aux fenêtres en verre armé qui ne laissent échapper qu'une lumière laiteuse et faible, attirante comme le néant.

    ENGLISH

    I lose myself in the dead ends and semi-private paths that border Sainte-Marie Park. Gardens and garages, puddles and gravel. I stare, fascinated without knowing why, at the dark windows of the high school. They reveal nothing. Its concrete is the same color as the sky – whitish, opaque – both empty and seemingly heavy with something, with some kind of threat.

    On Rue du Vieil Aître, I photograph an old house with a broken glass roof, overrun by clawing branches. Its plaster is dirty, blackish. The shutters are painted blue like seaside houses in western France. They are closed over rooms likely empty and uninhabited, untouched by light for years.

    I find myself in building courtyards where I have no business, nothing to justify my presence. Office or apartment buildings. A plaque here indicates a doctor’s practice. Places of a thousand lives that share one thing: not being mine. Corridors flooded with sunlight – or else dark, silent, alluring because they evoke something like sleep to me. Safety.

    Behind carriage doors, countless buildings shielded from view. One wonders what they truly look like, what their occupants dream of.

    I follow the expressways skirting the city center, widening my path in ever larger spirals, a growing exile into anonymous zones. There is no longer any question of nostalgia or pilgrimage, but of flight – an endless search for new, deserted, silent neighborhoods I don’t know and where I want only to lose myself briefly, never to return.

    You must want to get lost to discover streets and narrow side passages you never noticed before. Who lives here? How did they get here themselves? Do they even exist? These fringe-dwellers are, after all, hypothetical: I don’t see a single soul.

    Red brick chimneys. Wooden shutters with peeling paint. Backyards and parking lots where mailboxes are strangely clustered together – perhaps their owners have agreed to no longer be reachable, to deepen their isolation. That’s what I would do in their place.

    In the exact middle of a house, a single bricked-up window, absurd among others. Electrical wires stripe the sky, run from one house to another, snake along walls, and finally enter black windows long since missing their glass.

    By the canal, among dead leaves and metal footbridges, I watch a young man and a young woman carry small pieces of furniture. A sudden rush of longing. I cross over and vanish into more alleyways. In some courtyards, wild rose bushes grow along low walls. More mailboxes – some crossed out, sealed with black tape. These houses are covered in the same grimy beige plaster as my grandparents’ house. A color that alone evokes the post-war era, damp cellars, the smell of earth. Just seeing it makes me sad. A sadness preferable to many pleasures.

    Outskirts of the Villa Majorelle, at nightfall. Art Deco buildings in pastel tones; soft, feminine colors that again evoke sleep. I stop in front of a building covered in brown plaster, filthy like old carpet, with wired glass windows that let out only a weak, milky light – something as alluring as the void.

    Lien permanent Catégories : Explorations, Nancy 0 commentaire Pin it!