FRANÇAIS
Hier soir, dîner chez C. et E. Je suis passé non pas par la voie rapide habituelle mais par la route de Dieuze que j'avais déjà prise il y a quelques mois pour aller explorer Château-Salins. Elle a l’avantage de ne passer par rien d’autre que des villages et des départementales, en contournant entièrement Nancy, pour la même durée de trajet. Je suis passé par Moyen-Vic, qui m'a plongé dans un état d'extase esthétique incrédule tant son état de délabrement et l'architecture vieillotte de certaines maisons – de vieux immeubles et des maisons de ville mitoyens sur des dizaines de mètres, mais aussi des espèces de chalets en bois sortis des années 70 – me paraissaient une sorte de cauchemar merveilleusement attirant, comme dans certains rêves que j’ai fait ces dernières années.
J'ai eu une expérience similaire dans Nancy, après que France ait garé sa voiture dans une rue perpendiculaire à la rue Anatole France – cette rue qui monte vers un bâtiment qui ressemble à un vieil hôpital et où l'on s'était déjà promené en 2022. Il faisait déjà nuit, il n’y avait pas de passants, pas de voiture, tout était agréable et paisible ; les réverbères baignaient la rue de leur lumière artificielle, qui rend tout un peu étrange. C'est une rue ou les immeubles Art Déco, les maisons de ville, les hôtels particuliers et les énormes immeubles HLM brutalistes cohabitent, se jouxtent, sans logique, sans cohérence. Il y avait des vélos garés, des bulles à verre, des fenêtres illuminées à travers lesquelles on pouvait voir des gens dans leur salon ou leur cuisine. C’était incroyablement réel. Un moment de vie réelle, un morceau du monde réel. Je me suis dit « Je suis à Nancy » comme si ce n’était pas une évidence ou quelque chose de banal. Comme on se le dirait dans un rêve, avec une légère incrédulité, avec cette sensation où se mêle un sentiment d'hyperréalité et de totale étrangeté à la fois ; avec ce mélange d’attention décuplée et d’impression de rêver.
Parce que c’est ça la question majeure : l’attention. Dans les rêves l'attention est beaucoup plus grande, paradoxalement, qu'à l'état de veille ; nous dormons en réalité à l'état de veille, nous fonctionnons en pilotage automatique, inattentifs à ce qui nous entoure et que nous avons déjà vu mille fois : telle rue, tel objet. Et nous vivons réellement dans notre sommeil, là où tout paraît neuf et étonnant, beau ou laid, réconfortant ou effrayant, ou simplement présent et bien réel, face à nous.
ENGLISH
Last night, dinner at C. and E.’s. I didn’t take the usual expressway but instead went by the Dieuze road, the one I’d already taken a few months ago to explore Château-Salins. It has the advantage of passing through nothing but villages and small departmental roads, completely bypassing Nancy, yet taking just as long. I went through Moyen-Vic, which sent me into a kind of incredulous aesthetic rapture, so dilapidated were some of its old houses and apartment buildings – long rows of adjoining townhouses, but also these strange wooden chalets straight out of the 1970s – all of it forming a sort of wonderfully enticing nightmare, like in certain dreams I’ve had in recent years.
I had a similar experience in Nancy, after France parked her car in a street perpendicular to Rue Anatole France – that street that climbs toward a building resembling an old hospital, where we had already walked in 2022. It was already dark; there were no passersby, no cars, everything was calm and pleasant. The streetlights bathed everything in their artificial glow, making it all slightly unreal. It’s a street where Art Deco buildings, townhouses, private mansions, and massive brutalist housing blocks coexist, side by side, with no logic, no coherence. There were bicycles parked, recycling bins, and illuminated windows through which one could see people in their living rooms or kitchens. It was incredibly real – a moment of real life, a fragment of the real world. I said to myself, "I’m in Nancy", as though it weren’t obvious or banal – as though one might say it in a dream, with a touch of disbelief, with that feeling where hyperreality and utter strangeness mingle; that mix of heightened attention and the sensation of dreaming.
Because that’s really the central question: attention. In dreams, attention is paradoxically much sharper than in waking life; in truth, it’s when awake that we sleep – moving through the world on autopilot, inattentive to what surrounds us, to what we’ve already seen a thousand times: a certain street, a certain object. And we truly live in our sleep, where everything seems new and astonishing, beautiful or ugly, comforting or frightening, or simply present, vividly real, right before us.


