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  • Antichambres de béton / Concrete antechambers

    FRANÇAIS

    Je vis seul dans un petit appartement dans une sorte de galerie, ou de passage couvert. Il y a de la musique qui joue dehors, très fort, et je sens l'angoisse monter en moi. Je vois la galerie par des fenêtres suffisamment grandes pour être qualifiables de baies vitrées. Il y a un autre appartement au bout du couloir, pas directement en face du mien ; je sais qu'un jeune homme y vit mais jusqu'ici il ne m'a jamais dérangé. En face de moi il y a une sorte de commerce, type location de voitures, contrôle technique, ou quelque chose dans ce genre. Je réalise que la musique vient de là. Ça me calme un peu ; c'est une nuisance comparable à la musique de supermarché, à certaines heures uniquement, plus tolérable qu'un voisin qui fait la fête jour et nuit comme j'ai pu en avoir. Néanmoins je décide d'aller me réfugier dans une autre partie de mon appartement pour avoir du silence ; une sorte de cave ou de garage puisqu'elle se trouve au même niveau que les autres pièces, et donne ultimement sur une autre rue. C'est une suite de couloirs et de réduits assez sales, obscurs, mais j'y (re)découvre une pièce vaste comme une chambre à coucher, où je n'entends rien et suis certain de ne jamais rien entendre. Je suis fou de joie. Je vois une table basse avec une petite lampe à abat-jour. Je réalise que je suis déjà venu ici mais que je l'avais oublié. Je vais pouvoir, ici, me faire une deuxième chambre et un y installer un bureau pour lire et écrire dans la paix, le silence, séparé du reste du monde par plusieurs antichambres de béton.

    ENGLISH

    I live alone in a small apartment inside a kind of gallery, or covered passageway. Loud music is playing outside, and I feel the anxiety rising in me. I can see the gallery through windows large enough to be called bay windows. There’s another apartment at the end of the corridor, not directly across from mine; I know a young man lives there, but so far he’s never disturbed me. Across from me is a kind of business – car rental, vehicle inspection, or something of that sort. I realize the music is coming from there. That calms me a little; it’s a nuisance similar to supermarket music, only at certain hours – more tolerable than a neighbor partying day and night, as I’ve experienced before.

    Still, I decide to take refuge in another part of my apartment to find some silence – a sort of basement or garage, though it's on the same level as the rest of the place and ultimately opens onto another street. It’s a series of dim, rather dirty corridors and storage rooms, but I (re)discover a space the size of a bedroom, where I can’t hear anything and know I never will. I’m overjoyed. I see a low table with a small lampshade lamp. I realize I’ve been here before but had forgotten about it. I’ll be able to make a second bedroom here, and set up a desk where I can read and write in peace and silence, separated from the rest of the world by several concrete antechambers.

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  • Émilie (1995)

    FRANÇAIS

    Ses journées au restaurant commençaient à sept heures et se finissaient parfois à deux heures du matin. Elle devait avoir seize, dix-sept ans. La vie n'avait pas attendu pour la désigner sa place et ce qu'elle était en droit d'attendre. Elle me paraissait paumée, fatiguée et naïve ; une victime désignée comme il y en a tant. J'avais ressenti un vif dégoût, un soir où chez elle était présent l'un de ses patrons, la quarantaine, avec une dégaine de lumpenprolétaire combinard et cynique, juste assez malin pour acquérir un peu de pouvoir sur des gamines et en user. Il était affalé sur un matelas au sol, chez elle, et pérorait. J'imaginais qu'il tenterait tôt ou tard de la baiser. Peut-être qu'au milieu de mon dégoût je le jalousais pour cela.

    Un soir elle avait tapé à ma porte. Nous nous étions croisés deux ou trois fois depuis mon arrivée dans l'immeuble. Une brune timide, au regard étrange, un peu plus jeune que moi – donc mineure. Elle m'avait invité à boire une bière chez elle, avec une jeune femme qu'elle avait présentée comme sa sœur. Elle était serveuse dans un restaurant en ville. L'appartement était minuscule et évoquait un squat plus qu'autre chose, avec son matelas à même le sol et l'absence quasi-totale de meubles. Elle venait d'arriver de sa campagne, probablement seule pour la première fois, loin de ses parents. Ses cartons étaient encore fermés. Nous nous étions raconté nos vies respectives, mais je ne savais pas vraiment quoi leur dire et m'étais surtout contenté d'écouter. Puis nous étions sortis boire un verre dans un pub irlandais en face de l'immeuble.

    Le pub était quasiment plongé dans le noir. Nous étions les seuls clients. Je les avais écoutées discuter entre elles, n'ayant aucune question ni aucun commentaire à faire sur leurs vies dont je comprenais petit à petit qu'elles ne m'intéressaient pas, dont je réalisais que je ne voulais pas les connaître. La mort d'un père, véritable tyran domestique. Le frère tombé dans la drogue, violent lui aussi. L'enfant attendu, d'un homme non-identifié. Elles avaient fini par m'avouer – sans raison particulière, tout comme elles m'avaient menti sans raison particulière – qu'elles n'étaient pas sœurs.

    Qu'attendait-elle de moi ? Elle avait rapidement quitté l'immeuble et m'avait envoyé une ou deux lettres, longtemps, auxquelles j'avais probablement répondu avec un désintérêt poli. Elle n'avait pas insisté, attendant de pouvoir revenir me hanter, plus de dix ans après, au moment où je n'aurais plus aucun moyen de la retrouver.

    ENGLISH

    Her days at the restaurant started at seven in the morning and sometimes ended at two a.m. She must have been sixteen, seventeen years old. Life hadn’t waited to assign her a place and define what she was allowed to expect. She seemed lost, tired, and naive to me – a marked victim, one of so many. I had felt a strong disgust one evening when one of her bosses was at her place – a man in his forties, with the air of a scheming, cynical lumpen-proletarian, just clever enough to gain a bit of power over young girls and make use of it. He was sprawled on a mattress on the floor, at her place, and pontificating. I imagined he would try to screw her sooner or later. Perhaps, in the midst of my disgust, I envied him for it.

    One evening she knocked on my door. We had crossed paths two or three times since I’d moved into the building. A shy brunette with a strange look in her eyes, a bit younger than me – so, underage. She had invited me for a beer at her place, along with a young woman she introduced as her sister. She worked as a waitress in a restaurant downtown. The apartment was tiny and felt more like a squat than anything else, with a mattress on the floor and almost no furniture. She had just arrived from the countryside, probably alone for the first time, far from her parents. Her boxes were still sealed. We’d shared our life stories, though I didn’t really know what to tell them and mostly just listened. Then we went out for a drink at an Irish pub across the street.

    The pub was almost completely dark. We were the only customers. I listened to them talk to each other, with no questions or comments to offer about their lives – lives I was gradually realizing didn’t interest me, lives I didn’t want to know. A dead father, a true domestic tyrant. A brother who’d fallen into drugs, also violent. A pregnancy, with the father unknown. Eventually, they admitted to me — for no particular reason, just as they had lied for no particular reason – that they weren’t actually sisters.

    What did she expect from me? She quickly moved out of the building and sent me one or two letters over time, to which I probably responded with polite disinterest. She didn’t insist, waiting instead to come back and haunt me more than ten years later, at a time when I would have no way of finding her again.

    Lien permanent Catégories : Nancy, Souvenirs / Memories 0 commentaire Pin it!