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  • Marges / Margins (2008)

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    FRANÇAIS

    J'ai rendez-vous avec elle ; avec son corps, avec son lit, avec sa chambre obscure, sans fenêtre si ce n'est une verrière étrange au plafond qui laisse filtrer une faible luminescence laiteuse, et les ombres d'innombrables plantes. Quand j'arrive elle n'est pas encore seule et me le fait savoir d'une voix terne, impersonnelle, au téléphone. Alors je tue le temps. Sur l'avenue Leclerc, au crépuscule, déserte, pluvieuse et bleutée, je passe en revue les articles misérables du Diabolino – « tout pour la fête et la jonglerie » – dont l'enseigne lumineuse fatiguée, est presque la seule source de lumière dans la rue. Elle montre un visage de femme, stylisé, qui porte un loup.

    J'avance au hasard, débouche dans de petites rues anonymes ou qui mériteraient de l'être – vagues juxtapositions de HLM et d'immeubles de bureaux, au travers des fenêtres desquels on devine des salles de travail, de réunion, de conférence. Une vie intellectuelle, administrative, scientifique, se joue-là, collectivement, à laquelle je ne prends aucune part, ce qui m'inspire un vague regret. Je photographie des cages d'escaliers, des entrées d'immeubles illuminées. Je ne suis jamais rassasié de portes entrouvertes et de fenêtres sur la vie des autres, sur les détails les plus concrets et les plus banals de leurs vies, auxquels ils ne prêtent aucune attention, mais qui me hantent.

    D'épais nuages métalliques s'amoncellent au-dessus de la ville et cachent le crépuscule rose ; ils ont quelque chose d'indéfinissablement attirant, pourtant, loin de toute menace. L'idée de la pluie apparaît presque voluptueuse.

    Je rejoins le boulevard Jean Jaurès, l'une des voies d'entrée de la ville. Ravivant mon fantasme ancien d'y prendre une chambre d'hôtel, là précisément, à la marge de la ville, où rien ne se passe et où personne ne s'arrête. Certain d'y vivre aussi anonyme et introuvable qu'à l'autre bout du monde.

    Enfin nous nous retrouvons et sortons, quelques heures plus tard, pour marcher alors qu'il pleuviote. La tristesse de ces rues ouvrières étroites et grises, de ces maisons mitoyennes, basses, étroites et grises, et des vies étroites, basses et grises, et révoltantes, qui ne peuvent que s'y dérouler. Le corps se révolte contre cette laideur, cette grisaille dans laquelle on est enfermé comme dans une prison, mais cette révolte avant que d'avoir pu produire de la colère, s'échoue en tristesse. Nous croisons des prostituées à un carrefour. Nous les dépassons pour explorer le quartier de Saurupt. Je la prends en photo sous la pluie et nous rentrons faire l'amour.

    ENGLISH

    I have a rendezvous with her; with her body, with her bed, with her dark room, windowless except for a strange glass canopy in the ceiling that lets in a faint, milky luminescence, and the shadows of countless plants. When I arrive, she’s not yet alone and lets me know in a dull, impersonal voice, over the phone. So I kill time. On Avenue Leclerc, at dusk – deserted, rainy, and bluish – I browse the miserable items of a shop called Diabolino – "everything for parties and juggling" – whose tired neon sign is nearly the only source of light on the street. It shows a stylized woman’s face wearing a mask.

    I wander aimlessly, ending up in small anonymous streets, that deserve to be anonymous – vague juxtapositions of housing projects and office buildings, behind whose windows one can glimpse meeting rooms, workspaces, conference halls. An intellectual, administrative, scientific life plays out there, collectively, one I take no part in, which fills me with a vague regret. I photograph stairwells, the lit-up entrances of apartment blocks. I am never sated with half-open doors and windows into other people’s lives, into the most concrete and banal details of their existence, which they pay no attention to, but which haunt me.

    Heavy metallic clouds gather above the city, hiding the pink dusk; yet they are somehow indescribably alluring, far from threatening. The idea of rain feels almost voluptuous.

    I reach Boulevard Jean Jaurès, one of the main ways into the city. It revives an old fantasy of mine: to take a hotel room there, precisely there, at the city's margins, where nothing happens and no one stops. To live there as anonymously and untraceably as at the far end of the world.

    Finally, we meet up and go out a few hours later to walk in the drizzle. The sadness of these narrow, gray working-class streets, these low, narrow, gray terraced houses, and the narrow, low, gray, revolting lives that can only be lived there. The body rebels against this ugliness, this grayness in which we are locked up like in a prison, but this rebellion, before it can produce anger, ends in sadness. We see prostitutes at a crossroads. We walk past them to explore the Saurupt neighborhood. I take a picture of her in the rain and we go home to make love.

    Lien permanent Catégories : Blog, Explorations, Nancy 0 commentaire Pin it!