FRANÇAIS
J'ai réalisé quelque chose cette semaine : le rêve est plus réel que la veille. La vie diurne, la vie quotidienne, la vie réputée réelle, est qui objectivement est évidemment réelle, ne paraît pourtant pas réelle ; elle a l'air d'un rêve cotonneux, répétitif, grisâtre, où rien n'a vraiment d'importance ou de poids, tant nous sommes pris dans des habitudes, des automatismes, des situations stéréotypées qui ne demandent aucune attention véritable ; dans une pauvreté d'existence ; et nous nous perdons dans des rêveries, des fantasmes, des projets, des fictions, du matin au soir, pour échapper à cela.
À l'inverse, dans les rêves, on ne rêvasse pas : on est bien là, on est attentif, on expérimente le monde dans toute sa réalité, toute son intensité. Les décors, les objets, les gens, les situations. On vit l'instant en pleine conscience.
Cela m'a fait penser à cette expérience récente alors que j'étais en voiture avec France vers ce bar où avait lieu une soirée. Nous étions passés, juste après la tombée de la nuit, dans cette longue rue de Maréville, discrète, paisible, qui va de Laxou à Nancy, et où l'on ne s'arrête pas si l'on a rien à y faire ; un pur lieu de passage auquel on ne prête habituellement pas attention. Elle était peu éclairée et j'avais eu l'impression d'être entré dans une zone étrange, délabrée, désertée, anarchique, une bulle de calme entourée de larges boulevards et de voies rapides.
Les maisons de ville aux crépis sales, noircis par le temps et la fumée, ou aux couleurs brunâtres, terreuses, m'avaient rappelé la campagne et évoqué, comme toujours, les photos sépia, le passé, la terre meuble d'une tombe. Ces maisons étaient parfois à moitié cachées au fond de petits jardins, ou derrière des murets de béton comme chez mes grands-parents quand j'étais enfant.
Des parkings sauvages et des terrains vagues, herbeux, abandonnés, entre des maisons de ville – un gâchis d'espace proprement miraculeux à notre époque d'optimisation forcenée.
Même les résidences neuves, modernes, au sens hideux du terme, avaient quelque chose de confortable, bordélique, accueillant, comme le reste de la rue. Les balcons étaient encombrés de plantes vertes, de parasols, de mobilier de jardins, j'avais eu l'impression de retrouver le bric à brac de mon enfance, chez mes parents ou ma grand-mère maternelle.
La dernière chose qui m'avait marqué était ce vieil homme assis en train de lire, parfaitement visible à travers une baie vitrée, à un quelconque étage d'un immeuble moderne – peut-être un EHPAD, d'ailleurs. Le contraste entre l'obscurité presque totale de la rue où nous passions en voiture et la chaleur, la lumière, la paix qui régnait derrière cette vitre, m'avait saisi.
Il faudrait réussir à reproduire à volonté cette expérience mentale d'attention aiguë, de sensibilité exacerbée à l'environnement, cette impression de réel.
ENGLISH
I realised something this week: dream is more real than being awake. Day‑time life, everyday life – the life we agree is "real" and which, objectively, obviously is real – doesn’t feel real; it resembles a fuzzy, repetitive, greyish dream in which nothing truly matters or carries weight, because we’re trapped in habits, automatisms, stereotyped situations that demand no genuine attention, trapped in the poverty of mere existence. From morning till night we lose ourselves in daydreams, fantasies, plans, fictions, just to escape it.
By contrast, in dreams we don’t drift – we are fully present, alert, experiencing the world in all its reality and intensity: the settings, the objects, the people, the situations. We live the moment in complete awareness.
It reminded me of a recent moment when I was in the car with France heading to a bar for an evening out. Just after nightfall we drove down that long Rue de Maréville – quiet, discreet, running from Laxou to Nancy – where you never stop unless you have business there, a pure passageway that usually draws no notice. Dimly lit, it felt as though I had entered a strange, dilapidated, deserted, anarchic zone, a bubble of calm surrounded by wide boulevards and expressways.
The townhouses, their stucco façades grimy, blackened by time and smoke, or painted in brownish, earthy tones, reminded me of the countryside and evoked, as always, sepia photographs, the past, the loose soil of a grave. Some houses were half‑hidden at the back of small gardens or behind concrete walls like the ones at my grandparents’ when I was a child.
There were informal parking lots and grassy, abandoned vacant lots between the houses – a positively miraculous waste of space in our age of relentless optimisation.
Even the new, "modern" apartment blocks – in the ugliest sense of the word – had something comfortable, messy, welcoming about them, like the rest of the street. Balconies were heaped with green plants, parasols, garden furniture; I felt I had recovered the jumble of my childhood, at my parents’ place or my maternal grandmother’s.
The last thing that struck me was an old man sitting and reading, perfectly visible through a picture window on one of the upper floors of a modern building – perhaps a care home. The contrast between the almost total darkness of the street we were driving along and the warmth, the light, the peace that reigned behind that pane shook me.
If only one could summon at will that mental state of keen attention, of heightened sensitivity to one’s surroundings, that impression of the real.